[Nouvelle d'Halloween] Les Limbes de Kali
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Manny
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[Nouvelle d'Halloween] Les Limbes de Kali
C'est bientôt Halloween, et cette andouille de canard est de retour avec une nouvelle production écrite! Notez que ce n'est PAS la suite de Réminiscence : celle-ci arrivera... quand elle arriva. Dans longtemps, quoi. J'ai eu des soucis. Bref. Il n'y a aucun lien avec Réminiscence, donc pas besoin d'avoir lu ce gros pavé pour comprendre les événements des Limbes de Kali.
Voici donc une nouvelle spéciale Halloween qui sera composée de 8 chapitres (+1 prologue et 1 épilogue). Qui dit Halloween dit... peur! Mais rassurez-vous, ce ne sera pas trop effrayant! Quoique... Moins effrayant que si c'était un film, on va dire.
Je tiens à vous présenter par avance mes excuses pour le prologue que vous allez probablement détester, vu comme il est absolument atroce. En plus, le prologue est inintéressant au niveau "Titanic". Mais bon, rassurez-vous, c'est de la fiction! Et la période (réelle, ceux qui ont Facebook s'en souviendront peut-être) citée dans ce prologue date d'il y a un an : je ne cours donc plus aucun "risque". ;) Il ne sera plus fait mention ensuite du "contenu atroce" dans l'histoire, qui se centrera sur... le Titanic! Évidemment.
J'espère que ça vous plaira.
Je vous souhaite une bonne lecture...
Par commodité, je me suis permis de poster le prologue et le chapitre 1 séparément : j'espère que ça ne dérangera pas.
Les Limbes de Kali
Prologue
Mardi 25 novembre 2014, Faculté des Sciences Juridiques Politiques et Sociales, Lille, 18h20.
Les Travaux Dirigés de Droit des Obligations étaient dispensés aux étudiants du groupe n°21 de la Licence 2 dans la salle E107. C’était dans cette salle que se trouvait actuellement Vincent. Le pauvre n’avait pas fière allure : il était agité de tremblements, son regard était craintif, il se sentait nauséeux, et des gouttes de sueur froide perlaient sur son front. En somme, il était terrifié, comme à chacune des séances qu’il avait à passer avec le chargé de Travaux Dirigés encadrant son groupe. Cet homme était, de loin, celui qu’il avait le plus craint de toute sa vie, supplantant même le professeur de mathématiques qu’il avait eu en Seconde et Première et qui lui avait laissé un souvenir impérissable teinté d’un dégoût profond. Ce chargé ne cachait pas l’insatisfaction que lui procuraient ses étudiants, notait les devoirs et interrogations avec la délicatesse d’une guillotine, n’était jamais avare de reproches accablants destinés à ses élèves, et était même parvenu à faire pleurer l’une d’entre eux.
Vincent, lui, était au bord des larmes depuis plusieurs semaines, mais il avait toujours réussi à se contenir. En revanche, il subissait de plein fouet d’autres symptômes : il était victime de crises d’hyperphagie (vider la moitié de son placard et avaler tout ça en moins de 5 minutes), avait développé une insomnie… Et un nouveau symptôme, relatif au sommeil lui aussi, était venu s’ajouter cette nuit : il s’était réveillé d’un cauchemar (où il se faisait écraser)… mais, à son réveil, il s’était senti toujours écrasé. Pire, il n’avait plus pu faire le moindre mouvement, sa respiration s’était bloquée, ses gémissements étaient restés muets, et la sensation d’écrasement s’était de plus en plus accentuée. Pire encore, il avait l’impression – non, la certitude – que quelqu’un était avec lui dans sa chambre, et que cette personne était en train de l’étouffer, d’où la sensation d’écrasement. Cette personne avait des intentions hostiles. Cette personne était maléfique. Cette personne voulait le tuer. Et soudain, tout s’était arrêté d’un coup : le poids avait disparu et il avait pu à nouveau respirer et bouger. Il apprendrait quelques heures plus tard, via son amie titanicophile et « jumelle d’anniversaire » Tiphaine, qu’il s’agissait de ce qu’on appelait une « paralysie du sommeil ». Ce phénomène, assez fréquent à l’adolescence, survenait dans la phase comprise entre le « réveil cérébral » et le « réveil corporel », normalement quasiment synchronisés. Mais parfois, le réveil corporel n’avait pas lieu tout de suite, et le sujet avait alors pleinement conscience d’être réveillé, sans toutefois pouvoir bouger. Le sujet pouvait alors être victime d’un effet d’écrasement, conjugué à des hallucinations visuelles (le plus souvent effrayantes…), auditives (bruits, voix…), et tactiles (chatouillements, pincements, sensation de couverture retirée…). Pour couronner le tout, le sujet ressentait une présence hostile dans sa chambre, et avait généralement l’impression qu’il allait mourir du fait de cette présence. Autant dire que lorsque Vincent eut connaissance de ces informations, il estima qu’il avait eu de la chance dans son malheur : il n’avait pas subi toutes les horreurs caractéristiques de la paralysie du sommeil…
Un éclat de voix ramena brusquement Vincent à la réalité : ses pensées l’avaient amené à se remémorer de l’événement ayant marqué sa dernière nuit, et il avait donc manifesté une certaine inattention face à ce que venait d’expliquer le chargé à propos de l’arrêt de la Cour de Cassation qu’ils étaient en train d’étudier.
- Monsieur, comme je vois que vous êtes très intéressé par ce que je viens d’expliquer, vous saurez sans doute me réexpliquer avec vos propres mots le sens et la portée de l’arrêt.
Il ressentit une bouffée de panique en regardant sa fiche de Travaux Dirigés : il n’était même pas sûr qu’elle était à la bonne page. Une vague de chaleur embrasait son corps et il sentait sa gorge se dessécher à vitesse grand V. Ses yeux se posèrent sur le devoir qu’il avait à rendre aujourd’hui.
- Alors… euh… Le… le contrat triennal a été renouvelé par tacite reconduction, ce qui implique qu’il est moins étoffé et comprend notamment une durée non-déterminée, ce qui justifie la rupture unilatérale par…
- C’est très bien, Monsieur, sauf que ce n’est pas du tout de cet arrêt dont je vous parle. Votre inattention est vraiment lamentable, et est tout à fait représentative de l’intérêt que vous portez à cette matière. Je répète donc ma question : quel est le sens et la portée de l’arrêt de l’arrêt dont nous venons de parler ? J’attends.
Les yeux de Vincent devinrent humides. Cette fois-ci, le barrage allait céder. Il était vrai qu’il n’avait pas été très concentré depuis le début de l’heure, mais ça n’était pas spécifique à ce début de soirée : pendant toute la journée, et ce depuis son réveil, il avait été embrumé. Comme si un brouillard nimbait son cerveau et l’empêchait de réfléchir ou de fixer son attention sur quelque chose... Voilà où ça l’avait mené : se faire à nouveau sévèrement rouspéter par son chargé, alors que celui-ci s’était montré beaucoup plus cordial depuis la dernière séance…
- Monsieur, si vous ne répondez pas à ma question, je vous colle un zéro en note de participation et vous… vous… Mais vous pleurez ?!
Et voilà. Vincent, qui avait mis un point d’honneur à ne jamais pleurer depuis sa majorité… était à présent en larmes au milieu d’une vingtaine de ses condisciples universitaires. Comme sa voisine de table deux semaines auparavant. Le chargé (qui n’était pas un monstre malgré ses méthodes un brin expéditives) perdit contenance.
- Non, mais… Monsieur… Ne pleurez… Vous voulez aller respirer un peu dehors pour…
Ce qui arriva ensuite resterait dans les mémoires pendant très longtemps. Vincent, qui avait l’étrange impression ne pas vraiment contrôler ce qu’il faisait, se leva en faisant tomber sa chaise avec fracas, avant de se planter devant le bureau et de toiser le chargé de ses yeux baignés de larmes.
- À cause de vous, depuis le début du mois, je… je ne dors plus, je suis terrorisé, je fais des crises alimentaires, je… Vous…
Le chargé était complètement ahuri par ce qu’il était en train de vivre, et il se leva en essayant d’adopter un air mi-strict mi-compatissant.
- Écoutez Monsieur, calmez-vous, nous allons…
- Oui, je vais me calmer.
Vincent, ne pleurant plus, avait adopté un regard étrange, et il se dirigea vers la fenêtre qu’il ouvrit en grand.
- Oui, voilà Monsieur, respirez un peu, ça ira mieux après.
Le pauvre étudiant en Droit se retourna vers son chargé.
- Je vais me calmer définitivement.
Et sous les yeux épouvantés de tout le monde, Vincent enjamba le rebord de la fenêtre et se laissa tomber le vide. On entendit un bruit de tôle enfoncée et de verre brisé, couplé à une alarme automobile, lorsqu’il s’écrasa sur la voiture garée deux étages en contrebas.
Voici donc une nouvelle spéciale Halloween qui sera composée de 8 chapitres (+1 prologue et 1 épilogue). Qui dit Halloween dit... peur! Mais rassurez-vous, ce ne sera pas trop effrayant! Quoique... Moins effrayant que si c'était un film, on va dire.
Je tiens à vous présenter par avance mes excuses pour le prologue que vous allez probablement détester, vu comme il est absolument atroce. En plus, le prologue est inintéressant au niveau "Titanic". Mais bon, rassurez-vous, c'est de la fiction! Et la période (réelle, ceux qui ont Facebook s'en souviendront peut-être) citée dans ce prologue date d'il y a un an : je ne cours donc plus aucun "risque". ;) Il ne sera plus fait mention ensuite du "contenu atroce" dans l'histoire, qui se centrera sur... le Titanic! Évidemment.
J'espère que ça vous plaira.
Je vous souhaite une bonne lecture...
Par commodité, je me suis permis de poster le prologue et le chapitre 1 séparément : j'espère que ça ne dérangera pas.
Les Limbes de Kali
Prologue
Mardi 25 novembre 2014, Faculté des Sciences Juridiques Politiques et Sociales, Lille, 18h20.
Les Travaux Dirigés de Droit des Obligations étaient dispensés aux étudiants du groupe n°21 de la Licence 2 dans la salle E107. C’était dans cette salle que se trouvait actuellement Vincent. Le pauvre n’avait pas fière allure : il était agité de tremblements, son regard était craintif, il se sentait nauséeux, et des gouttes de sueur froide perlaient sur son front. En somme, il était terrifié, comme à chacune des séances qu’il avait à passer avec le chargé de Travaux Dirigés encadrant son groupe. Cet homme était, de loin, celui qu’il avait le plus craint de toute sa vie, supplantant même le professeur de mathématiques qu’il avait eu en Seconde et Première et qui lui avait laissé un souvenir impérissable teinté d’un dégoût profond. Ce chargé ne cachait pas l’insatisfaction que lui procuraient ses étudiants, notait les devoirs et interrogations avec la délicatesse d’une guillotine, n’était jamais avare de reproches accablants destinés à ses élèves, et était même parvenu à faire pleurer l’une d’entre eux.
Vincent, lui, était au bord des larmes depuis plusieurs semaines, mais il avait toujours réussi à se contenir. En revanche, il subissait de plein fouet d’autres symptômes : il était victime de crises d’hyperphagie (vider la moitié de son placard et avaler tout ça en moins de 5 minutes), avait développé une insomnie… Et un nouveau symptôme, relatif au sommeil lui aussi, était venu s’ajouter cette nuit : il s’était réveillé d’un cauchemar (où il se faisait écraser)… mais, à son réveil, il s’était senti toujours écrasé. Pire, il n’avait plus pu faire le moindre mouvement, sa respiration s’était bloquée, ses gémissements étaient restés muets, et la sensation d’écrasement s’était de plus en plus accentuée. Pire encore, il avait l’impression – non, la certitude – que quelqu’un était avec lui dans sa chambre, et que cette personne était en train de l’étouffer, d’où la sensation d’écrasement. Cette personne avait des intentions hostiles. Cette personne était maléfique. Cette personne voulait le tuer. Et soudain, tout s’était arrêté d’un coup : le poids avait disparu et il avait pu à nouveau respirer et bouger. Il apprendrait quelques heures plus tard, via son amie titanicophile et « jumelle d’anniversaire » Tiphaine, qu’il s’agissait de ce qu’on appelait une « paralysie du sommeil ». Ce phénomène, assez fréquent à l’adolescence, survenait dans la phase comprise entre le « réveil cérébral » et le « réveil corporel », normalement quasiment synchronisés. Mais parfois, le réveil corporel n’avait pas lieu tout de suite, et le sujet avait alors pleinement conscience d’être réveillé, sans toutefois pouvoir bouger. Le sujet pouvait alors être victime d’un effet d’écrasement, conjugué à des hallucinations visuelles (le plus souvent effrayantes…), auditives (bruits, voix…), et tactiles (chatouillements, pincements, sensation de couverture retirée…). Pour couronner le tout, le sujet ressentait une présence hostile dans sa chambre, et avait généralement l’impression qu’il allait mourir du fait de cette présence. Autant dire que lorsque Vincent eut connaissance de ces informations, il estima qu’il avait eu de la chance dans son malheur : il n’avait pas subi toutes les horreurs caractéristiques de la paralysie du sommeil…
Un éclat de voix ramena brusquement Vincent à la réalité : ses pensées l’avaient amené à se remémorer de l’événement ayant marqué sa dernière nuit, et il avait donc manifesté une certaine inattention face à ce que venait d’expliquer le chargé à propos de l’arrêt de la Cour de Cassation qu’ils étaient en train d’étudier.
- Monsieur, comme je vois que vous êtes très intéressé par ce que je viens d’expliquer, vous saurez sans doute me réexpliquer avec vos propres mots le sens et la portée de l’arrêt.
Il ressentit une bouffée de panique en regardant sa fiche de Travaux Dirigés : il n’était même pas sûr qu’elle était à la bonne page. Une vague de chaleur embrasait son corps et il sentait sa gorge se dessécher à vitesse grand V. Ses yeux se posèrent sur le devoir qu’il avait à rendre aujourd’hui.
- Alors… euh… Le… le contrat triennal a été renouvelé par tacite reconduction, ce qui implique qu’il est moins étoffé et comprend notamment une durée non-déterminée, ce qui justifie la rupture unilatérale par…
- C’est très bien, Monsieur, sauf que ce n’est pas du tout de cet arrêt dont je vous parle. Votre inattention est vraiment lamentable, et est tout à fait représentative de l’intérêt que vous portez à cette matière. Je répète donc ma question : quel est le sens et la portée de l’arrêt de l’arrêt dont nous venons de parler ? J’attends.
Les yeux de Vincent devinrent humides. Cette fois-ci, le barrage allait céder. Il était vrai qu’il n’avait pas été très concentré depuis le début de l’heure, mais ça n’était pas spécifique à ce début de soirée : pendant toute la journée, et ce depuis son réveil, il avait été embrumé. Comme si un brouillard nimbait son cerveau et l’empêchait de réfléchir ou de fixer son attention sur quelque chose... Voilà où ça l’avait mené : se faire à nouveau sévèrement rouspéter par son chargé, alors que celui-ci s’était montré beaucoup plus cordial depuis la dernière séance…
- Monsieur, si vous ne répondez pas à ma question, je vous colle un zéro en note de participation et vous… vous… Mais vous pleurez ?!
Et voilà. Vincent, qui avait mis un point d’honneur à ne jamais pleurer depuis sa majorité… était à présent en larmes au milieu d’une vingtaine de ses condisciples universitaires. Comme sa voisine de table deux semaines auparavant. Le chargé (qui n’était pas un monstre malgré ses méthodes un brin expéditives) perdit contenance.
- Non, mais… Monsieur… Ne pleurez… Vous voulez aller respirer un peu dehors pour…
Ce qui arriva ensuite resterait dans les mémoires pendant très longtemps. Vincent, qui avait l’étrange impression ne pas vraiment contrôler ce qu’il faisait, se leva en faisant tomber sa chaise avec fracas, avant de se planter devant le bureau et de toiser le chargé de ses yeux baignés de larmes.
- À cause de vous, depuis le début du mois, je… je ne dors plus, je suis terrorisé, je fais des crises alimentaires, je… Vous…
Le chargé était complètement ahuri par ce qu’il était en train de vivre, et il se leva en essayant d’adopter un air mi-strict mi-compatissant.
- Écoutez Monsieur, calmez-vous, nous allons…
- Oui, je vais me calmer.
Vincent, ne pleurant plus, avait adopté un regard étrange, et il se dirigea vers la fenêtre qu’il ouvrit en grand.
- Oui, voilà Monsieur, respirez un peu, ça ira mieux après.
Le pauvre étudiant en Droit se retourna vers son chargé.
- Je vais me calmer définitivement.
Et sous les yeux épouvantés de tout le monde, Vincent enjamba le rebord de la fenêtre et se laissa tomber le vide. On entendit un bruit de tôle enfoncée et de verre brisé, couplé à une alarme automobile, lorsqu’il s’écrasa sur la voiture garée deux étages en contrebas.
Dernière édition par Canard-jaune le Mar 27 Oct 2015 - 2:01, édité 2 fois
Canard-jaune-
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Re: [Nouvelle d'Halloween] Les Limbes de Kali
Chapitre 1 - Sa Dernière Volonté
Jeudi 27 novembre 2014, Trocadéro, Paris, 14h20.
Le ciel n’était pas très sombre ce jour-là. Les cœurs, eux, l’étaient bien plus… La veille, les Titanicophiles, comme tout le monde, avaient appris l’horrible nouvelle du décès de Vincent. Certains parmi eux avaient d’ailleurs manifesté la volonté de se rendre dans le Pas-de-Calais pour assister aux funérailles de leur ami, qui devaient se tenir en fin de semaine. Mais pour quatre d’entre eux, le chagrin allait être encore plus difficile à gérer en attendant la date fatidique : ils avaient été contactés par un inconnu désireux de les rencontrer à Paris pour une raison impérative liée à leur ami. Les contactés, à savoir Tiphaine, Denis, et Antoine ainsi qu’Aurélie, étaient donc venus : l’inconnu avait payé leurs billets de train. Ils s’étaient retrouvés au Trocadéro, le regard morne (certes, ils rencontraient Denis pour la première fois, mais ils auraient aimé que les circonstances soient différentes), et avaient attendu le mystérieux inconnu. Celui-ci ne se fit pas attendre : il arriva la minute suivant leurs retrouvailles. Il s’agissait d’un homme quadragénaire de taille moyenne, pâle aux yeux bleus, les cheveux bruns coupés courts, portant un costume orné d’un nœud-papillon noir.
- Mesdemoiselles, messieurs. Je suis navré pour ce qui est arrivé à votre ami.
Il serra la main de tout le monde pour « détendre l’atmosphère », et Antoine le jaugea du regard : il ne savait pas pourquoi, mais son intuition lui disait que cet homme était sincère dans ses propos et que ce qu’il avait à leur dire était louable.
- Je me nomme Wilfried de Beauregard. J’habite Lambersart, et je suis, entre autre, notaire. Je me charge de l’exécution des dernières volontés de votre ami.
Aurélie, paraissant un peu étonnée, l’interrompit poliment.
- Excusez-moi… Vincent avait déposé un testament à votre office ? C’est assez coûteux pour un étudiant qui dispose de peu de ressources, non ?
- Non, ce n’est pas le cas. Ce testament n’a aucune valeur légale, car il est dactylographié : il se trouve que par un concours de circonstances, je suis tombé dessus et j’ai décidé de me charger de son exécution bénévolement.
Antoine, intrigué par la générosité de cet homme, s’interrogeait.
- Pourquoi faire ça pour lui ? Vous le connaissiez ?
- Pas du tout. J’ai eu vent de sa mort par la presse…
- Quoi ?! Ils ont publié une photo de son corps dans…
Wilfried acquiesça sombrement. Antoine ressentit alors une aversion si profonde pour les médias (qu’il ne portait déjà pas dans cœur ordinairement) qu’elle en devenait palpable : Aurélie lui prit la main pour le calmer. Tiphaine, elle, était devenue pâle et s’appuya contre un mur. Denis était resté neutre.
- Donc, ma fille l’a reconnu. Elle ne le connaissait pas personnellement, mais elle l’a croisé une fois dans le train, et ce sympathique jeune homme l’avait alors aidée à glisser sa valise dans le porte-bagages : elle était si lourde qu’elle n’y arrivait pas toute seule.
Tiphaine, dont le visage avait retrouvé une teinte plus normale, réussit à esquisser un léger sourire.
- C’est bien Vincent, ça…
Denis, qui n’avait toujours pas dit un mot, parla enfin.
- Vous faites donc ça « juste » parce que Vincent a aidé votre fille avec une simple valise ? C’est une attitude très noble de votre part.
Le notaire parut un peu déconcerté.
- Oh, je… C’est normal, n’importe qui en ferait autant…
Il se reprit ensuite.
- Hum, bref, donc, les dernières volontés de votre ami. Comme vous le savez peut-être, il désirait être incinéré. Et il désirait que ses cendres soient jetées sur…
Tiphaine, les yeux dans le vague, termina sa phrase.
- … les lieux du naufrage du Titanic…
- C’est exact, Mademoiselle.
Wilfried avait gardé un air courtois et neutre : il ne semblait pas émettre de jugement de valeur sur la volonté particulièrement saugrenue (et difficilement réalisable) de Vincent. Antoine, lui, était assez circonspect.
- Mais… Quel est le rapport avec nous ?
- Eh bien, dans le testament de votre ami, vous faites partie des aficionados du Titanic à qui il lègue le plus de ses biens…
Aurélie interrompit à nouveau poliment.
- Léguer ? Il nous a donné quelque chose ?
- Oui, Mademoiselle, mais ce n’est pas pour ça que j’ai tenu à vous rencontrer. Je remettrai personnellement à chaque individu concerné ce qui lui revient de droit… après les funérailles. Donc, je disais que pour réaliser cette dernière volonté, il faut que quelqu’un se dévoue pour le faire…
Denis paraissait méfiant, à présent.
- S’agit-il d’argent ?
- Non, vous n’avez pas à payer pour une dispersion de cendres en pleine mer. Il vous faut juste un bateau… et quelques jours de traversée.
- Là est tout le problème, Monsieur de Beauregard : nous n’avons pas de bateau. Et un bateau, ça coûte cher.
- Mais… où est le problème ? J’en ai un, moi, de bateau !
Denis ne cachait plus son animosité, à présent, et Aurélie regardait Antoine d’un air gêné.
- Vous… Vous avez un bateau ?... Eh bien tant mieux pour vous ! Nous, nous n’en avons pas !
Wilfried regardait Denis d’un air éberlué.
- Monsieur, je crois que vous n’avez pas très bien compris. Je ne disais pas avoir un bateau pour me vanter : d’ailleurs, il ne m’appartient pas. Il est à ma sœur, Gwenaëlle, qui vit en Bretagne. Mais je peux la contacter et lui demander de vous prêter son bateau pour que vous puissiez effectuer votre mission…
C’était au tour des Titanicophiles d’être éberlués. Surtout Tiphaine.
- Mais… Pourquoi faites-vous ça ?
- Je vous l’ai dit, Mademoiselle : je ne fais que rendre service à mon tour à ce jeune homme. Il le mérite.
- … Donc, si votre sœur est d’accord pour prêter son bateau…
- Elle le sera.
- … Nous pourrions effectuer la dernière volonté de Canar… de Vincent.
- C’est cela. Je suis sûr, d’ailleurs, que vous feriez une bonne navigatrice. Vous saurez dompter le vent.
Tiphaine fronça alors les sourcils.
- C’est… un bateau à voiles ? Comment savez-vous que je…
- Une impression…
Troublée, la navigatrice en herbe, qui avait fait ses marques sur un voilier (le Bel Espoir), garda le silence.
Au bout d’un instant, Denis rompit le silence.
- Monsieur de Beauregard ?
- Oui ?
- C’est très généreux de votre part.
- Je vous en prie. Vous souhaitez donc accomplir la dernière volonté de votre fils?
Les yeux de Denis s’embuèrent. « Votre fils »… Pour que cela ne se voit pas, il se tourna vers ses trois amis titanicophiles.
- Oui. Et vous trois ?
Antoine regarda Aurélie, puis Wilfried.
- On va le faire. Et toi, Tiphaine ? Seras-tu notre Capitaine ?
Tiphaine ne répondit pas, et se retourna vers la Tour Eiffel.
- Vous vous souvenez ? Dans son histoire Réminiscence qu’il avait postée sur le forum, Vincent avait placé une partie de l’action à Paris. Il faisait même s’effondrer la Tour Eiffel pile là où on est. Vous l’avez lue ?
Denis acquiesça silencieusement, les yeux toujours embués. Aurélie regarda Antoine un peu gênée.
- Hum, pas nous, on a été assez pris dernièrement… Mais on la lira un jour, évidemment.
Tiphaine regardait toujours la Dame de Fer.
- Dire que nous ne connaitrons jamais la suite…
Wilfried s’approcha et posa une main compatissante sur l’épaule de la jeune femme.
- Serez-vous des leurs ?
Tiphaine détacha enfin son regard du célèbre monument parisien et dévisagea le notaire.
- Si Vincent a fait de moi une tueuse de sangliers, je suppose que je peux faire office de Capitaine. J’en suis.
Wilfried, malgré tout son professionnalisme, ne put s’empêcher d’hausser un sourcil en entendant cette étrange déclaration.
Dimanche 30 novembre 2014, Quai d’Artimon, Cherbourg-Octeville, 07h30.
Il faisait un peu frais en cette matinée du dernier jour de novembre. Une élégante goélette étaitgarée amarrée à l’extrémité du ponton faisant face à la rade de Cherbourg, qui était la rade artificielle la plus grande du monde. La majeure partie du groupe des Titanicophiles s’était retrouvée devant le navire, malgré quelques empêchements. Ceux qui restaient avaient ainsi pu dire au revoir et souhaiter bon courage à ceux qui partaient. Denis et Guillaume étaient montés à bord après avoir chargé les bagages. Aurélie, Sonia, et Elodie (la Belge) se trouvaient à la proue et regardaient au loin sans dire un mot. Nicolas, lui, regardait les voiles et les mâts d’un air intéressé. Tiphaine, quant à elle, était encore sur le quai et terminait de régler son départ avec le responsable de la capitainerie du port. Enfin, Antoine, qui avait terminé de saluer ses compagnons, s’attarda un instant devant la proue et releva le nom qui y était inscrit.
- Le Charon… Assez symbolique, n’est-ce pas ?
Il s’était tourné vers la propriétaire du bateau, la fameuse Gwenaëlle : un peu plus grande et un peu plus jeune que son frère, elle avait les cheveux blonds cendrés coupés courts, et partageait avec Wilfried sa peau pâle et ses yeux bleus. Elle portait un grand caban.
- J’imagine. Vous devriez monter, le bateau va partir.
Gwenaëlle paraissait peu désireuse de parler avec le passionné de mythologie antique. Il la salua alors poliment d’un signe de tête, avant de monter à bord et d’aller rejoindre sa compagne à la proue. Tiphaine rejoignit alors la propriétaire.
- Je crois que tout est en ordre…
- Je pense aussi. On annonce du beau temps. En cas de problème, la balise GPS permettra de vous retrouver, mais je doute que vous en ayez besoin...
Elle montra à Tiphaine sa tablette tactile où une application de géolocalisation montrait le Charon sous forme d’un petit cercle vert clignotant par intermittence au bout du Finistère.
- Au cas où, vous disposez d’un mois de nourriture, ce qui devrait être largement suffisant…
- Je ne sais comment vous remercier, Madame de Beauregard.
Elle sembla offensée.
- En ne m’appelant pas « de Beauregard », par exemple…
- Oh, je… navrée, je ne savais pas que vous étiez mariée, vous n’avez pas d’allian…
D’offensée, Gwenaëlle passa à visiblement énervée. Les Bretons avaient le sang chaud.
- Si je n’ai pas d’alliance, c’est justement car je suis célibataire ! De Beauregard est le nom de famille de la femme de Wilfried : il a pris son nom quand il l’a épousée.
- Oh, je… Je suis désolée, je ne savais pas, et je ne voulais pas vous offenser, je…
- Je m’en fiche. Vous devriez partir, vous allez rater la marée.
- Oui… D’accord… Je vais faire ça… Je vous renouvelle mes remerciements. Je vous ramènerai le bateau dans un état impeccable.
- Il vaudrait mieux pour vous.
Tiphaine prit congé de Gwenaëlle (qui resta à l’écart des Titanicophiles restés à quai), tout en jugeant qu’elle n’était pas très commode malgré sa générosité… Elle fit un signe de la main à ses amis et allait grimper à bord lorsqu’une main lui attrapa la manche. Elle se retourna, étonnée.
- Qu’est-ce qu’il y a ?
C’était Manon (l’angélique petite Belge). Elle tenait un porte-clés constitué d’une petite peluche de canard jaune siglée du logo du Téléthon.
- Excuse-moi de te retarder, Tiphaine, mais c’est le canard que Vincent m’avait donné lorsque l’on s’est rencontrés à l’exposition Titanic de Bruxelles. J’ai bien veillé sur lui, mais maintenant, je pense que je vais le laisser retourner avec son maître. Comme ça, Vincent aura un souvenir de nous pour… là où il ira…
Une larme coula sur sa joue. Tiphaine, touchée, prit doucement le canard-porte-clés, et pressa doucement l’épaule de Manon.
- C’est adorable, Manon.
Gérard s’approcha à son tour. Il tenait une sorte de petite pierre noire, ainsi qu’une couronne de fleurs jaunes et bleues.
- J’ai le cœur lourd de ne pas pouvoir vous accompagner, mais celui-ci de Nadine était encore plus lourd de ne pas avoir pu venir vous dire au revoir. Elle a donc acquis cette couronne de fleurs au nom du Forum Titanic afin que vous puissiez la jeter avec les cendres.
Tiphaine, touchée par l’attention, prit respectueusement la couronne de fleurs.
- Je sers également d’émissaire à Corentin : il est navré de ne pas avoir pu venir, et il m’a donc chargé de vous remettre ce petit bout de charbon. Il m’a dit qu’il avait été miné au début du XXème siècle à Bruay, dans le Pas-de-Calais. Il a pensé qu’ainsi, Vincent serait accompagné par un petit bout du sol qui l’a vu naître.
Tiphaine, qui commençait à se demander si elle n’allait pas finir par pleurer, remercia doucement Gérard et prit le bout de charbon. Elle essaya de leur sourire (de manière un peu crispée toutefois), puis utilisa la passerelle pour monter à bord de ‘’son’’ navire. Joris la suivit, fermant la marche : il était en train de retirer la passerelle avant d’embarquer lui aussi.
Cette scène teintée de mélancolie fut soudainement troublée par une sirène deux-tons : une voiture de police s’était arrêtée derrière le groupe, et un inspecteur en descendit avec vigueur.
- Police Nationale ! Veuillez laisser ce bateau à quai, vous n’avez pas reçu l’autorisation de disperser ces cendres en mer !
Les Titanicophiles restés à quai firent front commun et se tournèrent vers l’inspecteur en lui lançant un tel regard de mépris qu’il sembla se dégonfler comme un ballon. À bord, Tiphaine s’activait entre les cordages et les voiles, pressée par Guillaume.
- Mais qu’est-ce que tu attends ?! Démarre !
- Ce n’est pas un bateau à moteur, espèce d’andouille ! Il faut que le vent prenne dans les voiles !
Joris, lui, était resté en alerte sur la passerelle, détachée mais pas enlevée. L’inspecteur de police, d’abord estomaqué, se montra plus hostile.
- Vous allez vous écarter et me laisser arraisonner ce bateau !
Il se tourna vers Gwenaëlle, toujours à l’écart.
- Madame, vous êtes la propriétaire : arrêtez ce bateau !
Elle le toisa avec dédain.
- Non.
- Comment ça, non ?! Je suis inspecteur de police, et je peux ramener ici dans la minute tous les effectifs du commissariat si…
- Vous pourriez être le Général Eisenhower avec la 82ème Division Aéroportée que ça ne m’impressionnerait pas : ne posez pas vos sales pattes sur mon bateau, ou je vous démolis.
L’inspecteur parut avoir pris une gifle. Il détacha son regard de Gwenaëlle, furibond, puis tenta de forcer le mur formé par les Titanicophiles. Le mur humain ne bougea pas. Elodie (la Maman), au premier rang avec Clément, était en colère.
- Vous n’allez quand même pas oser bousculer une mère et son petit garçon ?!
Il le fit. Avec bien peu de délicatesse, l’inspecteur écarta un à un les Titanicophiles lui résistant : Elodie et Clément (qui se mit à pleurer) furent écartés sans ménagement, Olivier fut menotté prestement à une barrière, Manon (l’artiste) fut éjectée avec tant de violence que son béret tomba à l’eau, Jean-Philippe se retrouva à terre, Manon (l’ange de Bastogne) fut poussée si fortement qu’elle faillit passer par-dessus de la rambarde, et Gérard, dernier et ultime opposant, fut mis KO par un uppercut. Le voilier n’avait pas encore pu s’éloigner. L’inspecteur, débarrassé de ses adversaires, posa le pied sur la passerelle instable et fit face à Joris, qui n’avait pas bougé.
- Bouge de là.
- Avec plaisir.
Joris se tourna vers ses amis à bord, prêts à combattre eux aussi… et leur sourit ?! Tiphaine comprit trop tard.
- Non, Joris, ne fais pas ça !
Trop tard. Il décocha un vigoureux coup de pied dans la passerelle : celle-ci, totalement déséquilibrée, se décrocha et tomba à l’eau, précipitant avec elle l’inspecteur et Joris dans un grand plongeon. Une bordée d’insultes émanant du représentant de l’autorité fit suite, et Joris, nageant dans l’eau stagnante du port, en profita pour dire au revoir à son tour.
- Tant pis pour moi : partez au plus vite avant qu’il n’y ait des renforts et faites ce qui doit être fait !
Tiphaine, complètement stressée par le tour pour le moins dantesque qu’avaient pris les événements, retourna à la barre et parvint (enfin) à déloger la goélette de son emplacement grâce à un souffle de vent favorable : après une lente rotation du navire vers le large, le vent s’engouffra largement dans les voiles et le frêle esquif fit route vers l’océan, sous les applaudissements des Titanicophiles (amochés) restés à quai. Même Gwenaëlle eut un bref sourire.
Le quart d’heure suivant, la Capitaine Tiphaine, louvoyant d’une main de maître, dépassait le Cap de la Hague puis l’Île d’Aurigny. Il était 08h00, et il n’y avait plus devant eux que l’Atlantique… et une brume qui se leva soudainement jusqu’à totalement les encercler.
À Cherbourg, l’inspecteur couvert de honte avait pris la poudre d’escampette (à pied, ayant fait tomber ses clés de voiture lorsqu’il s’était retrouvé à l’eau) et les Titanicophiles congratulaient Joris, complètement trempé et grelottant de froid. Gwenaëlle, elle, s’était enfin approchée du groupe, et s’attelait à crocheter les menottes d’Olivier, qui semblait prendre la situation plutôt du bon côté. La propriétaire de la goélette avait posé sa tablette sur une bitte d’amarrage, et l’application de géolocalisation était toujours active. Elle ne vit pas que le petit cercle vert clignotant pour indiquer la position de son bateau avait disparu à huit heures pile…
Jeudi 27 novembre 2014, Trocadéro, Paris, 14h20.
Le ciel n’était pas très sombre ce jour-là. Les cœurs, eux, l’étaient bien plus… La veille, les Titanicophiles, comme tout le monde, avaient appris l’horrible nouvelle du décès de Vincent. Certains parmi eux avaient d’ailleurs manifesté la volonté de se rendre dans le Pas-de-Calais pour assister aux funérailles de leur ami, qui devaient se tenir en fin de semaine. Mais pour quatre d’entre eux, le chagrin allait être encore plus difficile à gérer en attendant la date fatidique : ils avaient été contactés par un inconnu désireux de les rencontrer à Paris pour une raison impérative liée à leur ami. Les contactés, à savoir Tiphaine, Denis, et Antoine ainsi qu’Aurélie, étaient donc venus : l’inconnu avait payé leurs billets de train. Ils s’étaient retrouvés au Trocadéro, le regard morne (certes, ils rencontraient Denis pour la première fois, mais ils auraient aimé que les circonstances soient différentes), et avaient attendu le mystérieux inconnu. Celui-ci ne se fit pas attendre : il arriva la minute suivant leurs retrouvailles. Il s’agissait d’un homme quadragénaire de taille moyenne, pâle aux yeux bleus, les cheveux bruns coupés courts, portant un costume orné d’un nœud-papillon noir.
- Mesdemoiselles, messieurs. Je suis navré pour ce qui est arrivé à votre ami.
Il serra la main de tout le monde pour « détendre l’atmosphère », et Antoine le jaugea du regard : il ne savait pas pourquoi, mais son intuition lui disait que cet homme était sincère dans ses propos et que ce qu’il avait à leur dire était louable.
- Je me nomme Wilfried de Beauregard. J’habite Lambersart, et je suis, entre autre, notaire. Je me charge de l’exécution des dernières volontés de votre ami.
Aurélie, paraissant un peu étonnée, l’interrompit poliment.
- Excusez-moi… Vincent avait déposé un testament à votre office ? C’est assez coûteux pour un étudiant qui dispose de peu de ressources, non ?
- Non, ce n’est pas le cas. Ce testament n’a aucune valeur légale, car il est dactylographié : il se trouve que par un concours de circonstances, je suis tombé dessus et j’ai décidé de me charger de son exécution bénévolement.
Antoine, intrigué par la générosité de cet homme, s’interrogeait.
- Pourquoi faire ça pour lui ? Vous le connaissiez ?
- Pas du tout. J’ai eu vent de sa mort par la presse…
- Quoi ?! Ils ont publié une photo de son corps dans…
Wilfried acquiesça sombrement. Antoine ressentit alors une aversion si profonde pour les médias (qu’il ne portait déjà pas dans cœur ordinairement) qu’elle en devenait palpable : Aurélie lui prit la main pour le calmer. Tiphaine, elle, était devenue pâle et s’appuya contre un mur. Denis était resté neutre.
- Donc, ma fille l’a reconnu. Elle ne le connaissait pas personnellement, mais elle l’a croisé une fois dans le train, et ce sympathique jeune homme l’avait alors aidée à glisser sa valise dans le porte-bagages : elle était si lourde qu’elle n’y arrivait pas toute seule.
Tiphaine, dont le visage avait retrouvé une teinte plus normale, réussit à esquisser un léger sourire.
- C’est bien Vincent, ça…
Denis, qui n’avait toujours pas dit un mot, parla enfin.
- Vous faites donc ça « juste » parce que Vincent a aidé votre fille avec une simple valise ? C’est une attitude très noble de votre part.
Le notaire parut un peu déconcerté.
- Oh, je… C’est normal, n’importe qui en ferait autant…
Il se reprit ensuite.
- Hum, bref, donc, les dernières volontés de votre ami. Comme vous le savez peut-être, il désirait être incinéré. Et il désirait que ses cendres soient jetées sur…
Tiphaine, les yeux dans le vague, termina sa phrase.
- … les lieux du naufrage du Titanic…
- C’est exact, Mademoiselle.
Wilfried avait gardé un air courtois et neutre : il ne semblait pas émettre de jugement de valeur sur la volonté particulièrement saugrenue (et difficilement réalisable) de Vincent. Antoine, lui, était assez circonspect.
- Mais… Quel est le rapport avec nous ?
- Eh bien, dans le testament de votre ami, vous faites partie des aficionados du Titanic à qui il lègue le plus de ses biens…
Aurélie interrompit à nouveau poliment.
- Léguer ? Il nous a donné quelque chose ?
- Oui, Mademoiselle, mais ce n’est pas pour ça que j’ai tenu à vous rencontrer. Je remettrai personnellement à chaque individu concerné ce qui lui revient de droit… après les funérailles. Donc, je disais que pour réaliser cette dernière volonté, il faut que quelqu’un se dévoue pour le faire…
Denis paraissait méfiant, à présent.
- S’agit-il d’argent ?
- Non, vous n’avez pas à payer pour une dispersion de cendres en pleine mer. Il vous faut juste un bateau… et quelques jours de traversée.
- Là est tout le problème, Monsieur de Beauregard : nous n’avons pas de bateau. Et un bateau, ça coûte cher.
- Mais… où est le problème ? J’en ai un, moi, de bateau !
Denis ne cachait plus son animosité, à présent, et Aurélie regardait Antoine d’un air gêné.
- Vous… Vous avez un bateau ?... Eh bien tant mieux pour vous ! Nous, nous n’en avons pas !
Wilfried regardait Denis d’un air éberlué.
- Monsieur, je crois que vous n’avez pas très bien compris. Je ne disais pas avoir un bateau pour me vanter : d’ailleurs, il ne m’appartient pas. Il est à ma sœur, Gwenaëlle, qui vit en Bretagne. Mais je peux la contacter et lui demander de vous prêter son bateau pour que vous puissiez effectuer votre mission…
C’était au tour des Titanicophiles d’être éberlués. Surtout Tiphaine.
- Mais… Pourquoi faites-vous ça ?
- Je vous l’ai dit, Mademoiselle : je ne fais que rendre service à mon tour à ce jeune homme. Il le mérite.
- … Donc, si votre sœur est d’accord pour prêter son bateau…
- Elle le sera.
- … Nous pourrions effectuer la dernière volonté de Canar… de Vincent.
- C’est cela. Je suis sûr, d’ailleurs, que vous feriez une bonne navigatrice. Vous saurez dompter le vent.
Tiphaine fronça alors les sourcils.
- C’est… un bateau à voiles ? Comment savez-vous que je…
- Une impression…
Troublée, la navigatrice en herbe, qui avait fait ses marques sur un voilier (le Bel Espoir), garda le silence.
Au bout d’un instant, Denis rompit le silence.
- Monsieur de Beauregard ?
- Oui ?
- C’est très généreux de votre part.
- Je vous en prie. Vous souhaitez donc accomplir la dernière volonté de votre fils?
Les yeux de Denis s’embuèrent. « Votre fils »… Pour que cela ne se voit pas, il se tourna vers ses trois amis titanicophiles.
- Oui. Et vous trois ?
Antoine regarda Aurélie, puis Wilfried.
- On va le faire. Et toi, Tiphaine ? Seras-tu notre Capitaine ?
Tiphaine ne répondit pas, et se retourna vers la Tour Eiffel.
- Vous vous souvenez ? Dans son histoire Réminiscence qu’il avait postée sur le forum, Vincent avait placé une partie de l’action à Paris. Il faisait même s’effondrer la Tour Eiffel pile là où on est. Vous l’avez lue ?
Denis acquiesça silencieusement, les yeux toujours embués. Aurélie regarda Antoine un peu gênée.
- Hum, pas nous, on a été assez pris dernièrement… Mais on la lira un jour, évidemment.
Tiphaine regardait toujours la Dame de Fer.
- Dire que nous ne connaitrons jamais la suite…
Wilfried s’approcha et posa une main compatissante sur l’épaule de la jeune femme.
- Serez-vous des leurs ?
Tiphaine détacha enfin son regard du célèbre monument parisien et dévisagea le notaire.
- Si Vincent a fait de moi une tueuse de sangliers, je suppose que je peux faire office de Capitaine. J’en suis.
Wilfried, malgré tout son professionnalisme, ne put s’empêcher d’hausser un sourcil en entendant cette étrange déclaration.
Dimanche 30 novembre 2014, Quai d’Artimon, Cherbourg-Octeville, 07h30.
Il faisait un peu frais en cette matinée du dernier jour de novembre. Une élégante goélette était
- Le Charon… Assez symbolique, n’est-ce pas ?
Il s’était tourné vers la propriétaire du bateau, la fameuse Gwenaëlle : un peu plus grande et un peu plus jeune que son frère, elle avait les cheveux blonds cendrés coupés courts, et partageait avec Wilfried sa peau pâle et ses yeux bleus. Elle portait un grand caban.
- J’imagine. Vous devriez monter, le bateau va partir.
Gwenaëlle paraissait peu désireuse de parler avec le passionné de mythologie antique. Il la salua alors poliment d’un signe de tête, avant de monter à bord et d’aller rejoindre sa compagne à la proue. Tiphaine rejoignit alors la propriétaire.
- Je crois que tout est en ordre…
- Je pense aussi. On annonce du beau temps. En cas de problème, la balise GPS permettra de vous retrouver, mais je doute que vous en ayez besoin...
Elle montra à Tiphaine sa tablette tactile où une application de géolocalisation montrait le Charon sous forme d’un petit cercle vert clignotant par intermittence au bout du Finistère.
- Au cas où, vous disposez d’un mois de nourriture, ce qui devrait être largement suffisant…
- Je ne sais comment vous remercier, Madame de Beauregard.
Elle sembla offensée.
- En ne m’appelant pas « de Beauregard », par exemple…
- Oh, je… navrée, je ne savais pas que vous étiez mariée, vous n’avez pas d’allian…
D’offensée, Gwenaëlle passa à visiblement énervée. Les Bretons avaient le sang chaud.
- Si je n’ai pas d’alliance, c’est justement car je suis célibataire ! De Beauregard est le nom de famille de la femme de Wilfried : il a pris son nom quand il l’a épousée.
- Oh, je… Je suis désolée, je ne savais pas, et je ne voulais pas vous offenser, je…
- Je m’en fiche. Vous devriez partir, vous allez rater la marée.
- Oui… D’accord… Je vais faire ça… Je vous renouvelle mes remerciements. Je vous ramènerai le bateau dans un état impeccable.
- Il vaudrait mieux pour vous.
Tiphaine prit congé de Gwenaëlle (qui resta à l’écart des Titanicophiles restés à quai), tout en jugeant qu’elle n’était pas très commode malgré sa générosité… Elle fit un signe de la main à ses amis et allait grimper à bord lorsqu’une main lui attrapa la manche. Elle se retourna, étonnée.
- Qu’est-ce qu’il y a ?
C’était Manon (l’angélique petite Belge). Elle tenait un porte-clés constitué d’une petite peluche de canard jaune siglée du logo du Téléthon.
- Excuse-moi de te retarder, Tiphaine, mais c’est le canard que Vincent m’avait donné lorsque l’on s’est rencontrés à l’exposition Titanic de Bruxelles. J’ai bien veillé sur lui, mais maintenant, je pense que je vais le laisser retourner avec son maître. Comme ça, Vincent aura un souvenir de nous pour… là où il ira…
Une larme coula sur sa joue. Tiphaine, touchée, prit doucement le canard-porte-clés, et pressa doucement l’épaule de Manon.
- C’est adorable, Manon.
Gérard s’approcha à son tour. Il tenait une sorte de petite pierre noire, ainsi qu’une couronne de fleurs jaunes et bleues.
- J’ai le cœur lourd de ne pas pouvoir vous accompagner, mais celui-ci de Nadine était encore plus lourd de ne pas avoir pu venir vous dire au revoir. Elle a donc acquis cette couronne de fleurs au nom du Forum Titanic afin que vous puissiez la jeter avec les cendres.
Tiphaine, touchée par l’attention, prit respectueusement la couronne de fleurs.
- Je sers également d’émissaire à Corentin : il est navré de ne pas avoir pu venir, et il m’a donc chargé de vous remettre ce petit bout de charbon. Il m’a dit qu’il avait été miné au début du XXème siècle à Bruay, dans le Pas-de-Calais. Il a pensé qu’ainsi, Vincent serait accompagné par un petit bout du sol qui l’a vu naître.
Tiphaine, qui commençait à se demander si elle n’allait pas finir par pleurer, remercia doucement Gérard et prit le bout de charbon. Elle essaya de leur sourire (de manière un peu crispée toutefois), puis utilisa la passerelle pour monter à bord de ‘’son’’ navire. Joris la suivit, fermant la marche : il était en train de retirer la passerelle avant d’embarquer lui aussi.
Cette scène teintée de mélancolie fut soudainement troublée par une sirène deux-tons : une voiture de police s’était arrêtée derrière le groupe, et un inspecteur en descendit avec vigueur.
- Police Nationale ! Veuillez laisser ce bateau à quai, vous n’avez pas reçu l’autorisation de disperser ces cendres en mer !
Les Titanicophiles restés à quai firent front commun et se tournèrent vers l’inspecteur en lui lançant un tel regard de mépris qu’il sembla se dégonfler comme un ballon. À bord, Tiphaine s’activait entre les cordages et les voiles, pressée par Guillaume.
- Mais qu’est-ce que tu attends ?! Démarre !
- Ce n’est pas un bateau à moteur, espèce d’andouille ! Il faut que le vent prenne dans les voiles !
Joris, lui, était resté en alerte sur la passerelle, détachée mais pas enlevée. L’inspecteur de police, d’abord estomaqué, se montra plus hostile.
- Vous allez vous écarter et me laisser arraisonner ce bateau !
Il se tourna vers Gwenaëlle, toujours à l’écart.
- Madame, vous êtes la propriétaire : arrêtez ce bateau !
Elle le toisa avec dédain.
- Non.
- Comment ça, non ?! Je suis inspecteur de police, et je peux ramener ici dans la minute tous les effectifs du commissariat si…
- Vous pourriez être le Général Eisenhower avec la 82ème Division Aéroportée que ça ne m’impressionnerait pas : ne posez pas vos sales pattes sur mon bateau, ou je vous démolis.
L’inspecteur parut avoir pris une gifle. Il détacha son regard de Gwenaëlle, furibond, puis tenta de forcer le mur formé par les Titanicophiles. Le mur humain ne bougea pas. Elodie (la Maman), au premier rang avec Clément, était en colère.
- Vous n’allez quand même pas oser bousculer une mère et son petit garçon ?!
Il le fit. Avec bien peu de délicatesse, l’inspecteur écarta un à un les Titanicophiles lui résistant : Elodie et Clément (qui se mit à pleurer) furent écartés sans ménagement, Olivier fut menotté prestement à une barrière, Manon (l’artiste) fut éjectée avec tant de violence que son béret tomba à l’eau, Jean-Philippe se retrouva à terre, Manon (l’ange de Bastogne) fut poussée si fortement qu’elle faillit passer par-dessus de la rambarde, et Gérard, dernier et ultime opposant, fut mis KO par un uppercut. Le voilier n’avait pas encore pu s’éloigner. L’inspecteur, débarrassé de ses adversaires, posa le pied sur la passerelle instable et fit face à Joris, qui n’avait pas bougé.
- Bouge de là.
- Avec plaisir.
Joris se tourna vers ses amis à bord, prêts à combattre eux aussi… et leur sourit ?! Tiphaine comprit trop tard.
- Non, Joris, ne fais pas ça !
Trop tard. Il décocha un vigoureux coup de pied dans la passerelle : celle-ci, totalement déséquilibrée, se décrocha et tomba à l’eau, précipitant avec elle l’inspecteur et Joris dans un grand plongeon. Une bordée d’insultes émanant du représentant de l’autorité fit suite, et Joris, nageant dans l’eau stagnante du port, en profita pour dire au revoir à son tour.
- Tant pis pour moi : partez au plus vite avant qu’il n’y ait des renforts et faites ce qui doit être fait !
Tiphaine, complètement stressée par le tour pour le moins dantesque qu’avaient pris les événements, retourna à la barre et parvint (enfin) à déloger la goélette de son emplacement grâce à un souffle de vent favorable : après une lente rotation du navire vers le large, le vent s’engouffra largement dans les voiles et le frêle esquif fit route vers l’océan, sous les applaudissements des Titanicophiles (amochés) restés à quai. Même Gwenaëlle eut un bref sourire.
Le quart d’heure suivant, la Capitaine Tiphaine, louvoyant d’une main de maître, dépassait le Cap de la Hague puis l’Île d’Aurigny. Il était 08h00, et il n’y avait plus devant eux que l’Atlantique… et une brume qui se leva soudainement jusqu’à totalement les encercler.
À Cherbourg, l’inspecteur couvert de honte avait pris la poudre d’escampette (à pied, ayant fait tomber ses clés de voiture lorsqu’il s’était retrouvé à l’eau) et les Titanicophiles congratulaient Joris, complètement trempé et grelottant de froid. Gwenaëlle, elle, s’était enfin approchée du groupe, et s’attelait à crocheter les menottes d’Olivier, qui semblait prendre la situation plutôt du bon côté. La propriétaire de la goélette avait posé sa tablette sur une bitte d’amarrage, et l’application de géolocalisation était toujours active. Elle ne vit pas que le petit cercle vert clignotant pour indiquer la position de son bateau avait disparu à huit heures pile…
Dernière édition par Canard-jaune le Mar 27 Oct 2015 - 2:01, édité 1 fois
Canard-jaune-
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Re: [Nouvelle d'Halloween] Les Limbes de Kali
Canard-jaune a écrit:- Vous vous souvenez ? Dans son histoire Réminiscence qu’il avait postée sur le forum, Vincent avait placé une partie de l’action à Paris. Il faisait même s’effondrer la Tour Eiffel pile là où on est. Vous l’avez lue ?
Denis acquiesça silencieusement, les yeux toujours embués. Aurélie regarda Antoine un peu gênée.
- Hum, pas nous, on a été assez pris dernièrement… Mais on la lira un jour, évidemment.
Ce petit reproche/clin d’œil élégamment glissé dans le texte m'a beaucoup fait rire !
Mais plus sérieusement, comment est-il possible que certains protagonistes de l'histoire n'aient pas encore lu Réminiscence !
Canard-jaune a écrit:À bord, Tiphaine s’activait entre les cordages et les voiles, pressée par Guillaume.
- Mais qu’est-ce que tu attends ?! Démarre !
- Ce n’est pas un bateau à moteur, espèce d’andouille ! Il faut que le vent prenne dans les voiles !
Guillaume et Tiphaine, le duo de choc de retour !
Canard-jaune a écrit:Manon (l’artiste) fut éjectée avec tant de violence que son béret tomba à l’eau
Comment ? Manon ne portait pas sa casquette irlandaise ce jour-là ? C'est une honte !
Au passage, je proteste, pourquoi Manon n'embarque t-elle pas à bord ?
Canard-jaune a écrit:Il décocha un vigoureux coup de pied dans la passerelle : celle-ci, totalement déséquilibrée, se décrocha et tomba à l’eau, précipitant avec elle l’inspecteur et Joris dans un grand plongeon. Une bordée d’insultes émanant du représentant de l’autorité fit suite, et Joris, nageant dans l’eau stagnante du port, en profita pour dire au revoir à son tour.
Voilà qui est bien joué, Joris !
Je suis toujours très heureuse de retrouver tes histoires qui nous mettent en scène, Vincent. En plus il n'y a bien que là qu'on peut s'improviser capitaine de voilier du jour au lendemain.
Vivement la suite !
PS : j'espère que tu n'a jamais sérieusement envisagé de sauter par la fenêtre à cause de ton chargé de TD ?
Tiphaine-
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Re: [Nouvelle d'Halloween] Les Limbes de Kali
J'ai ri bien que je n'aurais pas dû ! Très chouette début pour le moment
Re: [Nouvelle d'Halloween] Les Limbes de Kali
Très contente également de retrouver tes nouvelles Vincent, comme pour réminiscence, j'ai bien ri (bon non, je n'ai pas ri au fait que tu te sois foutu par la fenêtre, faut pas pousser non plus !). Vivement la suite !!!!
Surtout que je n'ai pas de béret !
Remarque, c'est pas plus mal que je n'embarque pas, si c'est pour vomir tripes et boyaux tout le long, autant rester à terre.
Tiphaine a écrit:Canard-jaune a écrit:Manon (l’artiste) fut éjectée avec tant de violence que son béret tomba à l’eau
Comment ? Manon ne portait pas sa casquette irlandaise ce jour-là ? C'est une honte !
Au passage, je proteste, pourquoi Manon n'embarque t-elle pas à bord ?
Surtout que je n'ai pas de béret !
Remarque, c'est pas plus mal que je n'embarque pas, si c'est pour vomir tripes et boyaux tout le long, autant rester à terre.
Manny-
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Re: [Nouvelle d'Halloween] Les Limbes de Kali
Merci pour vos avis, ça me fait plaisir! Je suis content également que le prologue et son événement ne vous ait pas dégoûté... Je suis navré, Manon, pour ta casquette : je croyais que c'était un béret. :( Honte sur moi.
Voici comme promis le Chapitre 2... du moins, sa première partie! Je ne pensais pas qu'il serait aussi long (environ 10 pages), donc j'ai préféré le diviser en deux pour éviter un "effet Réminiscence". La deuxième partie du Chapitre 2, plus conséquente, arrivera dimanche. Voyez celle-ci, postée aujourd'hui, comme un avant-goût. ;)
Chapitre 2.A - Des Imprévus en Série
Mardi 09 décembre 2014, Océan Atlantique, 08h00.
Tout le monde dormait à bord du Charon. Tout le monde ? Non. Une irréductible navigatrice résistait encore et toujours à la somnolence. Et ce n’était pas facile avec le rythme de sommeil (inhumain) qu’elle s’était imposée depuis leur départ… Ses cernes auraient pu rivaliser avec celles de Vincent. Mais pourquoi Tiphaine dormait-elle aussi peu ? Parce que le voyage ne se passait absolument pas comme prévu... Depuis qu’ils avaient quitté les eaux côtières françaises, ils s’étaient retrouvés entourés d’une brume tenace n’ayant pas été annoncée par la météo. Et cette brume n’avait pas trouvé le moyen de se lever depuis plus d’une semaine. Piloter un navire sans voir où il allait était assez peu appréciable (et recommandable), mais heureusement, il y avait les équipements électroniques de la goélette. Mais il y avait là-aussi un problème : ils s’étaient tous détraqués peu après l’arrivée de la brume, et ils ne servaient donc plus à rien. Même les téléphones portables des Titanicophiles ne s’allumaient plus. Pourtant, Tiphaine réussissait à endosser son rôle de Capitaine : elle tenait la barre à l’aveuglette, et elle y arrivait plutôt bien. Sans doute grâce à ce qu’elle appelait sans trop le comprendre son « sixième sens marin ». Du reste, Antoine s’était amusé à l’appeler « le GPS sur pattes », mais elle ne goûtait guère à la plaisanterie : ce n’était pas le seul problème qu’ils avaient. En effet, les temps et les distances prévus ne correspondaient pas. Ils avaient parcouru en un peu plus d’une semaine la distance qui était nécessaire pour se rendre sur les lieux du naufrage du Titanic, alors que son expérience sur le Bel Espoir lui avait appris qu’il faudrait au moins deux bonnes semaines. C’était comme si la goélette allait plus vite pour ‘’compenser’’ son aveuglement dans la brume… qui se levait brusquement. La brume se levait ! Un grand ciel bleu apparaissait et l’immensité de l’Atlantique se révélait enfin ! Tiphaine actionna la corne de brume.
- Debout là-dedans, nous sommes arrivés !
Elle entendit un peu plus bas les Titanicophiles ensommeillés se lever un à un dans le calme…
- Non Aurélie, j’ai eu un mal de chien à m’endormir, et il faut qu’elle s’amuse à réveiller tout le monde aussi tôt avec sa foutue corne de brume !
- Antoine, tu n’es pas venu ici pour dormir. Il était temps qu’on se lève si Tiphaine l’estime…
- Il n’est que 9 heures, putain !
Tiphaine, qui ne voulait pas d’une scène de ménage sur ‘’son’’ navire, descendit dans l’espace de vie et apostropha Antoine.
- En fait, il n’est que 8 heures : on a encore passé un méridien. Contente de te voir de bonne humeur !
Elle remonta ensuite sur le pont alors qu’Antoine la regardait avec l’envie non-dissimulée de la balancer à la mer.
Cette fichue brume s’était enfin totalement dissipée. Pas un souffle de vent. Une mer d’huile. Un ciel bleu à perte de vue. L’immensité de l’océan pour tout horizon. Et pas d’iceberg, ce qui était plutôt pratique. Le Charon avait jeté l’ancre : les Titanicophiles étaient arrivés à l’endroit où leur navire préféré avait fait naufrage 102 ans auparavant. Tout le monde s’était réuni sur la plage arrière du navire, au pied d’un des mâts. Antoine boudait toujours, et Tiphaine le lui fit remarquer.
- Antoine, si tu continues à bouder, je te marie à Aurélie.
Aurélie, qui regardait la mer, se retourna vers Tiphaine.
- Quoi ? Comment ça ?
- En tant que Capitaine, j’ai légalement le droit de vous marier ! Seul maître à bord après Dieu, tout ça tout ça…
Antoine retrouva enfin le sourire.
- Je ne veux pas qu’Aurélie devienne ma femme. Ma partenaire de dégustation de Pépitos, à la limite…
Sa plaisanterie fit rire plusieurs d’entre eux. Elodie (la Belge) semblait ne pas avoir apprécié.
- On va jeter des cendres, ce n’est pas le moment de plaisanter…
Antoine fronça légèrement les sourcils.
- Je ne suis pas d’accord : des funérailles n’ont pas forcément à être tristes. Regardez celles qu’a eu Nelson Mandela, en Afrique du Sud : il y avait des chants et des danses, le public était de bonne humeur, Obama faisait un selfie avec la très mignonne Première Ministre du Danemark…
Sonia s’amusa de la remarque.
- Hé, Aurélie va être jalouse !
Il y eut de nouveau quelques rires, avant que Sonia complète ses propos.
- Sinon, je suis d’accord avec Antoine : Vincent n’aurait pas voulu d’un truc formel et déprimant. Il aurait voulu nous voir sourire.
Denis regarda tristement Sonia, puis acquiesça.
- Je suis d’accord aussi.
Guillaume fit signe qu’il pensait pareil. Nicolas, lui, resta neutre et proposa de commencer.
- Bon. On le fait tant qu’il fait beau ? Ce serait chiant que la brume revienne…
Tout le monde émit un avis positif.
Les Titanicophiles s’étaient réunis en demi-cercle, faisant face à la mer que l’on voyait depuis la poupe. Tiphaine tenait l’urne : dans un dernier hommage à leur ami si radin, ils en avaient choisi une dorée. Denis, lui, tenait le bout de charbon de Corentin, et Elodie avait la couronne de fleurs et le porte-clés-canard. Une mouette s’était posée sur l’épaule de Nicolas, et elle n’avait pas voulu bouger lorsque celui-ci avait essayé de la déloger. Tant qu’elle restait calme, après tout… Le petit discours de Tiphaine commença après qu’elle ait fait un pas vers le bastingage de poupe : elle avait ouvert l’urne.
- Vincent. Tu étais pour nous…
Tous savaient ce que Vincent était pour eux… à l’exception de la mouette, sans doute. Mais la mouette ne sut jamais ce que Vincent était pour les Titanicophiles, car il se passa alors beaucoup de choses en même temps. À la seconde où l’urne fut ouverte, un choc puissant et sonore frappa la coque de la goélette : Tiphaine, déséquilibrée, lâcha l’urne qui se fracassa par terre. Immédiatement, une puissante rafale de vent, semblant venir de nulle part, emporta le tas de cendres… que se prit de plein fouet l’intégralité du groupe des Titanicophiles. Tous se mirent à tousser, et Denis parvint à articuler.
- Putain, ne me dites pas qu’on vient de respirer Vincent !
C’était pourtant le cadet de leurs soucis. Le ciel bleu s’était couvert de nuages gris en un instant, un grondement de tonnerre commençait à se faire entendre, et la mer avait commencé à être agitée par de grosses vagues. Tout le monde se cramponna aux mâts et aux bastingages, tandis que les rafales de vent, de plus en puissantes, arrachait la couronne de fleurs des mains d’Elodie et l’emportait au large. Guillaume parvint à crier pour couvrir le bruit du tonnerre qui s’amplifiait à chaque instant.
- Qu’est-ce qui se passe ?! Une tempête ?!
Tiphaine réussit à répondre tant bien que mal, à moitié noyée par l’écume des vagues passant par-dessus le bastingage.
- Non ! C’est pas normal ! Une tempête ne peut pas se lever aussi rapidement sans signe avant-coureur ! Et… et c’est pas du tonnerre ! C’est autre chose !
Le grondement du tonnerre atteignait la limite du supportable, et tous comprenaient, effectivement, que ce n’était pas… du tonnerre. Cela commençait plutôt à ressembler à un réacteur d’avion. Le plus incroyable dans tout ça était que Nicolas avait toujours la mouette sur son épaule : elle y semblait fixée par de la glu. Les rafales de vent redoublèrent alors de puissance avec une telle intensité que la chemise d’Antoine se déchira.
- Ma chemise ! Non !
La panique que ressentait Tiphaine se manifesta sous une forme bien agressive.
- On s’en fiche de ta chemise, Antoine ! Tu pourras t’en racheter une, alors que nos emplois, euh pardon, nos vies, elles, ne peuvent pas être remplacées!
Quelques secondes après cette violente diatribe, l’intégralité des voiles, gonflées par le vent, craqua dans un atroce bruit de tissu déchiré. Tiphaine, complètement trempée à présent (ses camarades n’avaient pas meilleure allure), sentit qu’elle allait se mettre à pleurer : était-ce à cause du risque non-négligeable qu’elle trouve la mort dans les minutes à venir, ou à cause du prix qu’allait coûter le remboursement des voiles à Gwenaëlle ?
Il y eut alors un énorme bruit de plongeon à quelques mètres du bateau : une vague de plusieurs mètres de haut se forma et frappa la goélette. Le Charon se retourna avec tous ses occupants à bord et coula à pic.
Voici comme promis le Chapitre 2... du moins, sa première partie! Je ne pensais pas qu'il serait aussi long (environ 10 pages), donc j'ai préféré le diviser en deux pour éviter un "effet Réminiscence". La deuxième partie du Chapitre 2, plus conséquente, arrivera dimanche. Voyez celle-ci, postée aujourd'hui, comme un avant-goût. ;)
Chapitre 2.A - Des Imprévus en Série
Mardi 09 décembre 2014, Océan Atlantique, 08h00.
Tout le monde dormait à bord du Charon. Tout le monde ? Non. Une irréductible navigatrice résistait encore et toujours à la somnolence. Et ce n’était pas facile avec le rythme de sommeil (inhumain) qu’elle s’était imposée depuis leur départ… Ses cernes auraient pu rivaliser avec celles de Vincent. Mais pourquoi Tiphaine dormait-elle aussi peu ? Parce que le voyage ne se passait absolument pas comme prévu... Depuis qu’ils avaient quitté les eaux côtières françaises, ils s’étaient retrouvés entourés d’une brume tenace n’ayant pas été annoncée par la météo. Et cette brume n’avait pas trouvé le moyen de se lever depuis plus d’une semaine. Piloter un navire sans voir où il allait était assez peu appréciable (et recommandable), mais heureusement, il y avait les équipements électroniques de la goélette. Mais il y avait là-aussi un problème : ils s’étaient tous détraqués peu après l’arrivée de la brume, et ils ne servaient donc plus à rien. Même les téléphones portables des Titanicophiles ne s’allumaient plus. Pourtant, Tiphaine réussissait à endosser son rôle de Capitaine : elle tenait la barre à l’aveuglette, et elle y arrivait plutôt bien. Sans doute grâce à ce qu’elle appelait sans trop le comprendre son « sixième sens marin ». Du reste, Antoine s’était amusé à l’appeler « le GPS sur pattes », mais elle ne goûtait guère à la plaisanterie : ce n’était pas le seul problème qu’ils avaient. En effet, les temps et les distances prévus ne correspondaient pas. Ils avaient parcouru en un peu plus d’une semaine la distance qui était nécessaire pour se rendre sur les lieux du naufrage du Titanic, alors que son expérience sur le Bel Espoir lui avait appris qu’il faudrait au moins deux bonnes semaines. C’était comme si la goélette allait plus vite pour ‘’compenser’’ son aveuglement dans la brume… qui se levait brusquement. La brume se levait ! Un grand ciel bleu apparaissait et l’immensité de l’Atlantique se révélait enfin ! Tiphaine actionna la corne de brume.
- Debout là-dedans, nous sommes arrivés !
Elle entendit un peu plus bas les Titanicophiles ensommeillés se lever un à un dans le calme…
- Non Aurélie, j’ai eu un mal de chien à m’endormir, et il faut qu’elle s’amuse à réveiller tout le monde aussi tôt avec sa foutue corne de brume !
- Antoine, tu n’es pas venu ici pour dormir. Il était temps qu’on se lève si Tiphaine l’estime…
- Il n’est que 9 heures, putain !
Tiphaine, qui ne voulait pas d’une scène de ménage sur ‘’son’’ navire, descendit dans l’espace de vie et apostropha Antoine.
- En fait, il n’est que 8 heures : on a encore passé un méridien. Contente de te voir de bonne humeur !
Elle remonta ensuite sur le pont alors qu’Antoine la regardait avec l’envie non-dissimulée de la balancer à la mer.
Cette fichue brume s’était enfin totalement dissipée. Pas un souffle de vent. Une mer d’huile. Un ciel bleu à perte de vue. L’immensité de l’océan pour tout horizon. Et pas d’iceberg, ce qui était plutôt pratique. Le Charon avait jeté l’ancre : les Titanicophiles étaient arrivés à l’endroit où leur navire préféré avait fait naufrage 102 ans auparavant. Tout le monde s’était réuni sur la plage arrière du navire, au pied d’un des mâts. Antoine boudait toujours, et Tiphaine le lui fit remarquer.
- Antoine, si tu continues à bouder, je te marie à Aurélie.
Aurélie, qui regardait la mer, se retourna vers Tiphaine.
- Quoi ? Comment ça ?
- En tant que Capitaine, j’ai légalement le droit de vous marier ! Seul maître à bord après Dieu, tout ça tout ça…
Antoine retrouva enfin le sourire.
- Je ne veux pas qu’Aurélie devienne ma femme. Ma partenaire de dégustation de Pépitos, à la limite…
Sa plaisanterie fit rire plusieurs d’entre eux. Elodie (la Belge) semblait ne pas avoir apprécié.
- On va jeter des cendres, ce n’est pas le moment de plaisanter…
Antoine fronça légèrement les sourcils.
- Je ne suis pas d’accord : des funérailles n’ont pas forcément à être tristes. Regardez celles qu’a eu Nelson Mandela, en Afrique du Sud : il y avait des chants et des danses, le public était de bonne humeur, Obama faisait un selfie avec la très mignonne Première Ministre du Danemark…
Sonia s’amusa de la remarque.
- Hé, Aurélie va être jalouse !
Il y eut de nouveau quelques rires, avant que Sonia complète ses propos.
- Sinon, je suis d’accord avec Antoine : Vincent n’aurait pas voulu d’un truc formel et déprimant. Il aurait voulu nous voir sourire.
Denis regarda tristement Sonia, puis acquiesça.
- Je suis d’accord aussi.
Guillaume fit signe qu’il pensait pareil. Nicolas, lui, resta neutre et proposa de commencer.
- Bon. On le fait tant qu’il fait beau ? Ce serait chiant que la brume revienne…
Tout le monde émit un avis positif.
Les Titanicophiles s’étaient réunis en demi-cercle, faisant face à la mer que l’on voyait depuis la poupe. Tiphaine tenait l’urne : dans un dernier hommage à leur ami si radin, ils en avaient choisi une dorée. Denis, lui, tenait le bout de charbon de Corentin, et Elodie avait la couronne de fleurs et le porte-clés-canard. Une mouette s’était posée sur l’épaule de Nicolas, et elle n’avait pas voulu bouger lorsque celui-ci avait essayé de la déloger. Tant qu’elle restait calme, après tout… Le petit discours de Tiphaine commença après qu’elle ait fait un pas vers le bastingage de poupe : elle avait ouvert l’urne.
- Vincent. Tu étais pour nous…
Tous savaient ce que Vincent était pour eux… à l’exception de la mouette, sans doute. Mais la mouette ne sut jamais ce que Vincent était pour les Titanicophiles, car il se passa alors beaucoup de choses en même temps. À la seconde où l’urne fut ouverte, un choc puissant et sonore frappa la coque de la goélette : Tiphaine, déséquilibrée, lâcha l’urne qui se fracassa par terre. Immédiatement, une puissante rafale de vent, semblant venir de nulle part, emporta le tas de cendres… que se prit de plein fouet l’intégralité du groupe des Titanicophiles. Tous se mirent à tousser, et Denis parvint à articuler.
- Putain, ne me dites pas qu’on vient de respirer Vincent !
C’était pourtant le cadet de leurs soucis. Le ciel bleu s’était couvert de nuages gris en un instant, un grondement de tonnerre commençait à se faire entendre, et la mer avait commencé à être agitée par de grosses vagues. Tout le monde se cramponna aux mâts et aux bastingages, tandis que les rafales de vent, de plus en puissantes, arrachait la couronne de fleurs des mains d’Elodie et l’emportait au large. Guillaume parvint à crier pour couvrir le bruit du tonnerre qui s’amplifiait à chaque instant.
- Qu’est-ce qui se passe ?! Une tempête ?!
Tiphaine réussit à répondre tant bien que mal, à moitié noyée par l’écume des vagues passant par-dessus le bastingage.
- Non ! C’est pas normal ! Une tempête ne peut pas se lever aussi rapidement sans signe avant-coureur ! Et… et c’est pas du tonnerre ! C’est autre chose !
Le grondement du tonnerre atteignait la limite du supportable, et tous comprenaient, effectivement, que ce n’était pas… du tonnerre. Cela commençait plutôt à ressembler à un réacteur d’avion. Le plus incroyable dans tout ça était que Nicolas avait toujours la mouette sur son épaule : elle y semblait fixée par de la glu. Les rafales de vent redoublèrent alors de puissance avec une telle intensité que la chemise d’Antoine se déchira.
- Ma chemise ! Non !
La panique que ressentait Tiphaine se manifesta sous une forme bien agressive.
- On s’en fiche de ta chemise, Antoine ! Tu pourras t’en racheter une, alors que nos emplois, euh pardon, nos vies, elles, ne peuvent pas être remplacées!
Quelques secondes après cette violente diatribe, l’intégralité des voiles, gonflées par le vent, craqua dans un atroce bruit de tissu déchiré. Tiphaine, complètement trempée à présent (ses camarades n’avaient pas meilleure allure), sentit qu’elle allait se mettre à pleurer : était-ce à cause du risque non-négligeable qu’elle trouve la mort dans les minutes à venir, ou à cause du prix qu’allait coûter le remboursement des voiles à Gwenaëlle ?
Il y eut alors un énorme bruit de plongeon à quelques mètres du bateau : une vague de plusieurs mètres de haut se forma et frappa la goélette. Le Charon se retourna avec tous ses occupants à bord et coula à pic.
Dernière édition par Canard-jaune le Mar 27 Oct 2015 - 2:01, édité 2 fois
Canard-jaune-
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Re: [Nouvelle d'Halloween] Les Limbes de Kali
Canard-jaune a écrit:Tous savaient ce que Vincent était pour eux… à l’exception de la mouette, sans doute. Mais la mouette ne sut jamais ce que Vincent était pour les Titanicophiles, car il se passa alors beaucoup de choses en même temps.
Il y a beaucoup de passages qui m'ont fait rire, mais j'adore particulièrement le coup de la mouette.
Canard-jaune a écrit:Il y eut alors un énorme bruit de plongeon à quelques mètres du bateau : une vague de plusieurs mètres de haut se forma et frappa la goélette. Le Charon se retourna avec tous ses occupants à bord et coula à pic.
Ah ! Comme annoncé hier dans les commentaires Facebook, je m'attendais à ce que le Charon coule ! J'aurais bel et bien dû parier.
Plus sérieusement, puisque le Titanic est en-dessous... On peut s'attendre à tout. Y compris rencontrer Murdoch ?
Tiphaine-
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Re: [Nouvelle d'Halloween] Les Limbes de Kali
Pour ceux qui auraient déjà lu, j'ai effectué un petit ajout qui m'est venu en tête pendant mon cours de Droit des Biens (cherchez pas à comprendre la logique). Le voici afin que vous n'ayez pas à tout relire. :D Une référence à l'actualité récente serait ABSOLUMENT accidentelle. :D
... Les rafales de vent redoublèrent alors de puissance avec une telle intensité que la chemise d’Antoine se déchira.
- Ma chemise ! Non !
La panique que ressentait Tiphaine se manifesta sous une forme bien agressive.
- On s’en fiche de ta chemise, Antoine ! Tu pourras t’en racheter une, alors que nos emplois, euh pardon, nos vies, elles, ne peuvent pas être remplacées !
Quelques secondes après cette violente diatribe, l’intégralité des voiles...
Canard-jaune-
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Re: [Nouvelle d'Halloween] Les Limbes de Kali
C'est amusant ce rajout, parce que même sans, dès la lecture de la première version, j'avais fait le rapprochement avec l'actualité. D'ailleurs, je pensais que tu l'avais fait exprès.
[Edit] Je rajoute que tu m'as tout à fait cerné. Quand je panique, je peux me montrer très agressive. Et encore, dans ton texte je me trouve assez soft, car dans la réalité mes phrases seraient davantage agrémentées de mots vulgaires.
[Edit] Je rajoute que tu m'as tout à fait cerné. Quand je panique, je peux me montrer très agressive. Et encore, dans ton texte je me trouve assez soft, car dans la réalité mes phrases seraient davantage agrémentées de mots vulgaires.
Tiphaine-
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Re: [Nouvelle d'Halloween] Les Limbes de Kali
Tiphaine a écrit:C'est amusant ce rajout, parce que même sans, dès la lecture de la première version, j'avais fait le rapprochement avec l'actualité. D'ailleurs, je pensais que tu l'avais fait exprès.
[Edit] Je rajoute que tu m'as tout à fait cerné. Quand je panique, je peux me montrer très agressive.
Oui, dès le début, c'était en référence à l'actualité, mais ajouter ce dialogue amusant ne m'est venu qu'après avoir posté le chapitre. ^^
Ah, content de voir que je cerne bien (même si en fait j'ai pas fait exprès) : j'ai toujours peur d'être "Out Of Character"... tu n'es pas ma Jumelle pour rien. ;)
Canard-jaune-
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Re: [Nouvelle d'Halloween] Les Limbes de Kali
Canard-jaune a écrit:Ah, content de voir que je cerne bien (même si en fait j'ai pas fait exprès) : j'ai toujours peur d'être "Out Of Character"... tu n'es pas ma Jumelle pour rien. ;)
Bien sûr tout est volontairement exagéré, mais dans l'ensemble je trouve que tu sais assez bien cerner nos différentes personnalités et les caricaturer. C'est d'ailleurs cela qui rend tes textes assez drôles, enfin de mon point de vue.
Plusieurs fois, dans Réminiscence, je me suis surprise à penser que certaines de nos réactions à des situations exceptionnelles pourraient bien être assez proches de la réalité si nous venions à être réellement confrontés à ce genre de choses. Y compris Antoine qui fait du vélo d'appartement pour produire de l'électricité. Mais là encore, c'est mon impression. Peut-être faudrait-il que je pointe les détails qui me font penser cela, histoire de demander si les concernés s'y reconnaissent effectivement ou non.
Tiphaine-
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Re: [Nouvelle d'Halloween] Les Limbes de Kali
Tu m'as bien cernée aussi , chieuse un jour , chieuse toujours
Re: [Nouvelle d'Halloween] Les Limbes de Kali
Cette deuxième partie du Chapitre 2 est plus longue que la première... Et beaucoup moins longue que le Chapitre 3, qui arrivera normalement mercredi! Bonne lecture. :)
Chapitre 2.B - Un Océan de Secrets
Mardi 09 décembre 2014, quelque part, 12h00.
Denis se réveilla, mais n’ouvrit pas les yeux. Il n’en était pas sûr, mais apparemment, il était vivant. Il laissa donc le soin à ses sens d’étudier la situation. Il n’avait mal nulle part et pouvait bouger tous ses membres, ce qui était bon signe. En revanche, il était agité de tremblements dus au froid : il était trempé. Par ailleurs, il semblait allongé dans une substance qui semblait être de la boue : il y reposait d’ailleurs jusqu’au crâne, et ses cheveux en auraient été maculés… si il avait eu des cheveux… Il finit par ouvrir les yeux, et les referma de suite : le soleil était à son zénith au milieu d’un ciel idéalement bleu… et avait failli lui griller la rétine. Denis finit par se redresser en ouvrant à nouveau les yeux : il était un peu sonné, mais ça allait. Il finit par se mettre debout en chancelant un peu, puis regarda devant lui. Tout n’était qu’une immense vallée recouverte de boue et nimbée de brume. Au loin, il distinguait vaguement une sorte de gigantesque mur bleu. Il regarda ensuite à sa droite et à sa gauche, et vit le même paysage désolé. Il se retourna alors pour voir ce qui se trouvait derrière lui… et étouffa une exclamation. Ses compagnons titanicophiles (tous) ainsi qu’une mouette étaient allongés eux-aussi dans la vase. Il se précipita immédiatement vers Elodie et la retourna : elle était allongée sur le ventre et sa tête était à moitié enfoncée dans le sol. Il la secoua, et elle se mit à tousser assez fort avant de retrouver sa respiration… et son humour.
- Eh bien, je pourrai rayer « faire un masque de boue » de ma liste de choses à faire…
La toux d’Elodie avait réveillé les autres Titanicophiles, qui émergeaient à leur tour du sommeil qu’avait causé le naufrage du Charon : tous semblaient plus ou moins sonnés. Tiphaine, elle, était livide. Guillaume, d’un pas chancelant, s’approcha d’elle et lui tapota l’épaule.
- Ça va aller ?
Elle le regarda d’un regard brillant.
- Non, évidemment…
- Écoute… Ça pourrait être pire. On est tous vivants, après tout.
Antoine, qui essayait d’ôter la vase de ses cheveux, approuva.
- Je confirme les dires du sieur Guillaume !
Tiphaine baissa les yeux.
- Tu as raison…
Sonia, elle, gardait les pieds sur terre.
- Si j’ouvre un spa un jour, j’éviterai d’utiliser de l’eau venant de l’Atlantique Nord. Trop mouillée, et trop froide !
Il fallut un certain temps pour que tout le monde parvienne à peu près à enlever toute la vase le recouvrant. Pourtant, ils y arrivèrent, aidés en cela par une petite mare d’eau salée qui subsistait à quelques mètres de leur « point d’atterrissage ».
- Euh, sinon, personne n’a une chemise en trop ?
- Tiens Antoine, prends mon pull.
- Ah, merci Guillaume, c’est cool !
Une fois qu’Antoine eut cessé d’exhiber ce qu’il avait au-dessus de la ceinture, Tiphaine jeta un coup d’œil circulaire et posa la question qui méritait d’être posée.
- Où sommes-nous ?
Nicolas (que personne n’avait vu partir) revint parmi eux et apporta, en même temps que la mouette (endormie) qui ne le quittait plus, des réponses.
- Je crois qu’on est au fond de l’Océan Atlantique.
Sonia fronça les sourcils.
- Quoi ?
- Je sais que ça parait dingue, mais regardez le sol. De la vase. Or, c’est ce qui constitue le plancher océanique au-dessus duquel le Titanic a coulé.
Guillaume semblait circonspect.
- Euh. Si on est au fond de l’eau, où est… l’eau ?
- Elle a disparu.
Antoine était beaucoup trop cartésien pour croire ça.
- C’est pas possible, Nicolas.
- Alors suivez-moi.
Et Nicolas disparut dans la brume. Tous le suivirent, et après quelques mètres parcourus, ils se retrouvèrent devant une sorte de mur bleu. Aurélie parut très étonnée.
- Pourquoi y a-t-il un mur au fond de l’océan ? Il semble… grand… en plus.
Denis, qui était un homme très intelligent, avait compris.
- Ce n’est pas un mur. C’est l’Atlantique…
Nicolas approuva. Comme pour confirmer ses propos, la brume sembla se dissiper légèrement au-dessus d’eux et ils purent alors voir que le mur semblait monter jusqu’au ciel. Aucun mur ne faisait 4 kilomètres de hauteur… Mais Antoine n’abandonnait pas facilement.
- Très bien ! Si c’est de l’eau, alors pourquoi elle ne déferle pas sur nous ? Elle ne semble pourtant pas gelée !
Aurélie s’avança un peu et posa sa main sur le mur. Du moins, elle essaya : sa main était comme bloquée à quelques millimètres de la muraille d’eau.
- Je ne peux pas toucher l’eau… Il y a comme… une barrière invisible…
Tiphaine était la personne la plus stoïque du groupe, et qui semblait le mieux accepter la bizarrerie de la situation.
- Très bien. Nous sommes au fond de l’Atlantique Nord, dont l’eau a été retirée et est actuellement contenue par une sorte de bouclier invisible qui nous empêche d’être écrasés et noyés. On se croirait dans l’une des histoires loufoques de Vincent… Qu’est-ce qu’on fait, alors ?
Sonia essaya à son tour de toucher la muraille d’eau.
- C’est un truc de fou ! On dirait qu’on est comme dans… un verre retourné au fond d’un évier… ou un dôme géant, comme dans le truc de Stephen King !
Denis sembla légèrement assombri.
- Un dôme ? J’espère qu’on va pas finir comme à la fin du livre de Stephen King, alors…
Guillaume se tourna vers lui, curieux.
- Il se passe quoi à la fin du livre ?
Tiphaine intervint en coupant Denis, qui allait répondre.
- Tatata ! Pas de spoiler : imagine que quelqu’un nous lise !
Guillaume resta interdit.
- Nous lise ?
- Euh, nous entende, pardon…
Guillaume sembla encore plus interdit.
- Qu’on nous entende au fond de l’océan ? Mais au nom du ciel, Tiphaine, qu’est-ce que tu racontes ?!
Tiphaine leva les yeux au ciel et s’éloigna du mur.
- Je dis juste qu’on ne doit pas s’amuser à raconter la fin d’une histoire alors que des gens n’ont peut-être pas envie de la connaître si ils veulent lire ladite histoire depuis le début. Bref, on va où ?
Guillaume resta perplexe. Nicolas s’anima soudain.
- Eh !
La mouette qu’il avait ramassée s’était réveillée et envolée : elle voletait en rond au-dessus d’eux. Tiphaine regarda le volatile, étonnée.
- Même l’oiseau a survécu. J’espère que ce sera aussi le cas du Charon, ou alors Gwenaëlle va me tuer…
Elodie suivait la mouette des yeux.
- Pourquoi elle vole comme ça au-dessus de nous ?
Nicolas avait froncé les sourcils.
- Je crois qu’elle veut qu’on la suive…
Antoine paraissait exaspéré.
- Comment ça, tu crois ? Qu’on le suive ? Bon sang, Tiphaine a raison, tout ceci est grotesque : on se croirait vraiment dans une des histoires de Vincent…
- Écoute, si tu as une meilleure solution, je serai ravi de l’écouter.
Pour une fois, Antoine fut incapable de répondre à une question. Nicolas conclut le litige de manière définitive.
- Alors c’est entendu, on suit ma mouette !
Et la mouette fut patiemment suivie pendant près de quatre heures : pendant les premières minutes de ce trajet, Elodie eut d’ailleurs la surprise de retrouver le porte-clés-canard-jaune que lui avait remis Manon et qu’elle avait lâché lors du naufrage. Avancer prenait un temps fou à cause de la vase, et la fatigue pesait de plus en plus sur les Titanicophiles. Au bout d’un moment qui paraissait être une éternité, le terrain sembla commencer à monter légèrement, ce que remarqua Aurélie.
- Ah, tiens, ça monte…
Elodie paraissait ravie.
- Tant mieux, on va peut-être échapper à cette foutue brume…
Une fois le dénivelé franchi, il apparut effectivement que la brume restait limitée au niveau qu’ils venaient de quitter un peu plus bas. C’était tant mieux, mais ça ne donnait aucune indication : le paysage était toujours désolé. On entendit soudainement un bruit de verre brisé.
- Eh !
- Qu’est-ce qu’il y a ?
C’était Denis, qui avait marché sur quelque chose de dur. Le groupe s’arrêta, et Nicolas inspecta la vase sous l’empreinte de pas de Denis. Il en sortit alors trois morceaux de porcelaine blanche, qui se réunissaient pour former une soucoupe. En regardant de plus près, on distinguait les restes d’un motif doré en bordure. Ces détails n’échappèrent pas au Techie-en-chef.
- Félicitations, Denis ! Toi et tes grosses chaussures venez de casser une assiette provenant du service de Première Classe du Titanic ! C’est le motif Wisteria… Et ça vaut des dizaines de milliers de dollars.
Denis était mortifié.
- Je… C’était un accident !
- Je ne t’en veux pas, rassure-toi. De toute façon, elle était déjà sévèrement endommagée…
Tiphaine, Elodie, Aurélie, et Sonia paraissaient se faire violence pour ne pas exploser en sentiments contradictoires.
- Attendez, on marche dans la zone de débris de l’épave ?!
- On marche dans un cimetière maritime, c’est horrible !!
- Mais c’est une catastrophe, on va tout casser !
- Mais c’est magnifique ! On va être les premières personnes à voir l’épave d’aussi près… et au sec !
Guillaume, lui, ne semblait pas vouloir prendre part à la conversation. Il regardait fixement quelque chose.
- Euh, Nicolas.
- Quoi ?
- Regarde.
Guillaume pointait du doigt l’assiette en morceaux que tenait Nicolas. Celle-ci était auréolée d’une étrange lueur rouge… et ses morceaux convergeaient l’un vers l’autre jusqu’à ne plus former qu’une assiette entière. Les fissures disparurent alors, comme si l’assiette s’était ressoudée, et quelques secondes plus tard, le motif turquoise et doré de l’élégante assiette réapparut sur la porcelaine. Même le petit drapeau rouge de la White Star Line, présent sur chaque pièce de vaisselle du navire, avait refait son apparition. Denis était ébahi… et pragmatique.
- Au moins, elle n’est plus cassée. On ne pourra rien me reprocher.
Ce n’était pas fini, pourtant. L’assiette lévita doucement au-dessus des mains de Nicolas, puis se dirigea vers la direction prise par la mouette (que tout le monde avait oubliée). Antoine avait la bouche grande ouverte, mais n’avait pas perdu son humour.
- Je crois qu’on est les premiers humains à voir une soucoupe volante d’aussi près… Littéralement parlant.
L’assiette s’en allait lentement en volant vers sa destination. Les Titanicophiles remarquèrent alors que des ombres se formaient par intermittence autour d’eux : en levant la tête, ils virent qu’une véritable ligne d’objets et d’équipements, provenant d’au-delà du ‘’mur’’, lévitait et se dirigeait lentement elle aussi vers là où allait l’assiette qu’ils avaient ramassée : il y avait des valises, des bouts de bois, de la vaisselle, des papiers, et…
- Ce n’est pas… The Big Piece… ?
- Si Aurélie. Il s’agit de tout ce qui a été retrouvé sur l’épave ou ayant échappé au naufrage : tout ça a quitté ses musées et revient… ici… apparemment…
Ils s’aperçurent alors qu’il y avait aussi de l’activité au sol : autour d’eux, des trous se formaient dans la vase et des choses en sortaient avant de se reconstituer dans les airs puis de prendre la direction inconnue où allait toute cette concentration d’objets volant tous seuls : meubles, bouteilles, morceaux d’acier, vêtements… Elodie n’en revenait pas.
- Pincez-moi, je rêv… AÏE, Antoine, pas si fort !
Tiphaine était sous le choc, mais parvenait encore à s’interroger.
- Pourquoi tous ces vestiges brillent en rouge ?
Nicolas, qui semblait vivre le plus beau de ses rêves et qui parlait d’un ton étrangement calme, lui répondit.
- Je ne sais pas. Je suppose qu’on aura la réponse en allant par-là : c’était là où allait la mouette avant que Denis marche sur l’assiette…
Les Titanicophiles, fort troublés, reprirent alors leur marche. Plus ils avançaient, et plus les vestiges embourbés étaient nombreux à quitter la vase, où ils reposaient depuis un siècle, pour rejoindre le long fil d’éléments flottant en l’air vers une destination bien précise. Les compagnons pouvaient d’ailleurs parfois reconnaître certains objets emblématiques, et adoptaient une attitude extrêmement digne quand c'était le cas.
- OH MON DIEU ! C’est l’une des grilles ouvragées ornant la partie vitrée des double-portes de Première Classe ! JE LA VEUX !!
- Mais enfin, du calme Nicolas ! Tu ne peux pas l’attraper, de toute façon, elle est hors de portée. Et puis, ça peut être danger… LA PIPE DE MURDOCH ! JE SUIS SÛRE QUE C’EST LA PIPE DE MURDOCH, JE LA RECONNAIS, POUSSEZ-VOUS, JE DOIS L’ATTRAPER !!
- Non mais tu t’entends, Tiphaine ?! Faites ce que je dis, pas ce que je fais : c’est comme ça que tu fonctionnes ?!
- Ahem. Je… Silence Nicolas. Nous devons continuer à avancer avant que la nuit tombe !
On était en plein milieu de l’après-midi, mais personne n’osa relancer… Après dix nouvelles minutes de marche dans une vase toujours aussi vaseuse, ils se retrouvèrent devant un énorme objet cylindrique tout rouillé. Nicolas posa sa main dessus, les yeux brillants.
- La fameuse chaudière…
Tout le monde s’en approcha cérémonieusement, mais seul Nicolas avait osé poser sa main dessus. L’énorme masse de métal brilla soudainement en rouge, puis s’éleva hors de la boue où elle reposait. Alors qu’elle lévitait pour rejoindre les autres objets en mouvement dans les airs, la rouille qui se trouvait dessus disparut peu à peu pour laisser place à un métal brillant ayant retrouvé son éclat des premiers jours. Quelques boulons, vis, et autres morceaux métalliques jaillirent à leur tour de l’endroit où s’était trouvée la chaudière et vinrent la compléter là où il manquait des choses. Elle prit à son tour la fameuse direction qui commençait à devenir évidente, et les compagnons suivirent.
Le périple continua, et au bout d’un moment, Guillaume remarqua que Tiphaine frissonnait.
- Tiphaine ? Ça va ?
- Oui, oui… Juste qu’il ne fait pas très chaud.
- Est-ce que tu veux mon…
- T-shirt ? Non, Guillaume, je ne veux pas que tu te mettes tout nu pour moi ! Tu vas attraper froid. Je vais survivre : j’ai connu pire en promenant Manouk en hiver à Crozant...
- Mais…
- Garde ton souffle pour continuer à avancer : on est pas encore arrivés.
En « langage Tiphaine », cela voulait dire que la discussion était close. Guillaume le comprit bien et n’insista pas, mais il passa le reste du parcours à bougonner sans en expliquer la réponse, et à jeter des regards noirs au pull qu’il avait donné à Antoine. Au bout d’une bonne heure de marche supplémentaire, il fallut à nouveau escalader une légère montée du terrain. Et ce que découvrirent alors les Titanicophiles fut assez justement résumé par Denis, qui adopta une politesse de circonstance.
- Oh, putain de bordel de merde.
C’était le mot. Devant eux se trouvait la partie avant de l’épave du Titanic, considérablement abimée et rouillée par son séjour centenaire dans les profondeurs de l’Atlantique Nord. Ce spectacle était déjà, en soi, particulièrement impressionnant, surtout quand on pouvait le voir en direct sans la présence de millions de tonnes d’eau pour gâcher le spectacle. Mais la scène qu’ils avaient devant eux était rendue encore plus incroyable par l’auréole rouge entourant l’infortuné navire. La même auréole rouge entourait chacune des choses charriées par le fil d’objets volants : celui qu’ils avaient suivi venait de l’Est, mais ils purent voir que deux autres venaient de l’Ouest et qu’un venait du Nord. Ces objets se rejoignaient au-dessus de l’épave et y rentraient par tous les orifices disponibles afin que tous réintègrent leur emplacement originel. Médusés, les Titanicophiles approchèrent lentement, alors que la rouille disparaissait du bâtiment pour laisser place aux éclatantes couleurs blanche, or, noire, et ocre qu’ils connaissaient. Par contre, tout ceci restait extrêmement endommagé. Rêveurs, ils contemplèrent leur paquebot préféré (ou plutôt leur bout de paquebot), aussi haut qu’un immeuble, et il fallut un cri particulièrement perçant de ‘’leur’’ mouette pour qu’ils émergent de leur rêverie collective. Elle voletait au-dessus d’eux, et avait ensuite volé jusqu’au Pont D, où elle était entrée dans le navire par l’une des deux portes de coque situées à bâbord (il y en avait aussi à tribord, mais les compagnons se trouvaient à bâbord et il aurait été idiot de faire tout le tour) qui donnaient accès au Salon de Réception de la Première Classe. Nicolas, qui regardait juste avant l’épave déchiquetée par son naufrage, parut brusquement inquiet en voyant la mouette disparaître à l’intérieur.
- Oh non, j’ai peur qu’elle salisse tout !
Sonia lui tapota l’épaule.
- On n’a qu’à aller la chercher, viens. De toute façon, je crois qu’elle veut qu’on la suive encore.
Elodie regardait en l’air.
- Je crois que Sonia a raison. Il n’y a plus d’objets qui volent, il commence à faire noir, et j’ai l’impression qu’on devrait monter à bord.
Antoine souleva un problème.
- Et on monte comment ? On apprend à voler ?
Aurélie lui désigna simplement quelque chose : un monticule de vase qui se tenait juste sous l’ouverture qu’avait empruntée la mouette. Il suffisait de le grimper sans glisser. Alors que tout le monde se dirigeait vers le monticule, Tiphaine restait figée et paraissait peu emballée.
- C’est un cimetière marin…
Guillaume posa sa main sur son épaule et la fit doucement avancer.
- On n’a pas vraiment le choix…
Tout le monde réussit à grimper le monticule, et se retrouva alors dans le vestibule donnant accès au Salon de Réception (où se trouvaient le Grand Escalier et les ascenseurs) et aux coursives de Première Classe du Pont D. Ils étaient restés au bord, tous collés contre le mur soutenant la lourde porte de coque. Ce qui était étrange (outre tout ce qu’ils venaient de voir, évidemment) était qu’à l’intérieur, le navire était encore complètement rouillé et abîmé, mais que les vestiges qui avaient lévité jusque-là avaient déjà repris leur place : de la vaisselle propre était empilée dans un coin, des lustres flambants-neufs étaient fixés au plafond… mais ce plafond, ainsi que les murs et le sol étaient toujours délabrés. La mouette, qui s’était posée sur le buffet effondré ayant jadis contenu de la vaisselle, décolla de son perchoir et alla se poser sur la tête d’Elodie. Celle-ci, peu rassurée, fit de grands gestes pour se débarrasser du volatile, en agitant les bras et tapant du pied, s’éloignant un peu de ses amis… et dans un craquement sonore, elle passa à travers le sol qui s’ouvrit en grand sous elle. Denis eut la présence d’esprit de la rattraper d’un bras alors qu’elle passait à travers le trou béant en hurlant, et les autres Titanicophiles aidèrent à la hisser pour qu’elle ne s’écrase pas au Pont E, juste en-dessous. Par effet domino, presque tout le sol du vestibule s’effondra sur le pont inférieur dans un fracas phénoménal. Puis ce fut le silence, seulement troublé par la respiration haletante d’Elodie : Aurélie l’avait prise dans ses bras pour l’aider à se calmer. Nicolas, inquiet, regarda l’énorme catastrophe qu’ils avaient causée… ainsi que la mouette, tuée sur le coup, qui gisait à ses pieds.
- Et maintenant ?...
Comme pour lui répondre, les morceaux de métal s’étant écrasés en contrebas du Pont D s’auréolèrent de rouge et allèrent regagner leur emplacement normal, reconstituant tout le sol du vestibule. Le sol en question perdit sa rouille en quelques secondes et on put à nouveau distinguer au sol le motif de carrelage que l’on retrouvait dans le Grand Escalier. La ‘’force rouge’’ entoura aussi le cadavre de la mouette et… l’expulsa sans cérémonie des lieux à travers l’une des deux ouvertures que fermaient normalement les portes de coque, toujours ouvertes. Les Titanicophiles regrettèrent que leur ‘’guide’’ à plumes finisse ainsi, surtout Elodie (se sentant responsable) et Nicolas, mais ça leur sortit presque immédiatement de la tête, car la suite des événements fut une véritable magie : la vase (y compris celle maculant leurs chaussures et le bas de leurs vêtements) s’évaporait, les murs et les boiseries blanches fixées dessus se réparaient, la moquette se reconstituait, les poutres et colonnes se réajustaient, le Grand Escalier subissait une reconstruction accélérée, les meubles en rotin réapparaissaient, le grand piano à queue se réassemblait, les palmiers en pot semblaient surgir de nulle part, la tapisserie d’Aubusson semblait être retissée par des mains invisibles fil par fil, le candélabre tordu et terni retrouvait sa forme et son éclat d’antan, la vaisselle lévitait à travers la salle pour aller se replacer dans les buffets ou sur les tables… C’était tout le Titanic qui reprenait vie. Et c’était féérique : on pouvait presque voir des étoiles dans les yeux des Titanicophiles. Nicolas, lui, ne retenait plus ses larmes : officiellement à cause de la merveille dont il était moins, officieusement… car il n’avait aucun moyen de photographier ou filmer tout ça. Apercevant du mouvement dehors, il tourna la tête et eut le temps de voir deux grandes formes métalliques rouillées et aplaties émerger de la vase dans un grincement métallique : celles-ci se ‘’gonflèrent’’ alors et prirent une forme cylindrique ainsi qu’une couleur chamois surmontée d’un fronton noir. Les immenses cheminées. Elles s’envolèrent vers les cieux comme des fusées, des étais surgissant autour d’elles pour les fixer à nouveau sur leur base au-dessus du Pont des Embarcations : hélas, Nicolas ne pouvait pas voir ça d’ici. En revanche, il avait pu apercevoir deux immenses masses au loin léviter à toute vitesse vers eux… Nicolas, qui s’était penché vers l’extérieur en se maintenant à la coque pour mieux voir, rentra brusquement et bouscula ses amis pour filer vers la Salle à Manger de la Première Classe. Les lourdes portes de coque se refermèrent sans grincer et se verrouillèrent toutes seules, avant que ce ne soit le cas des double-portes intérieures en fer forgé. Denis paraissait au bord de l’apoplexie.
- Nicolas, où tu cours comme ça ?!
- La Salle à Manger ! On va voir la partie arrière se recoller à la partie avant !
Tout le monde se précipita à la suite de Nicolas dans une cohue bien peu aristocratique : Sonia bouscula même un palmier et s’excusa auprès de lui comme si c’était un passager. La Salle à Manger (de même style que le Salon de Réception sauf qu’il n’y avait pas de moquette) faisait partie des lieux à l’arrière de la partie avant qui s’étaient écroulés sur eux-mêmes lorsque l’épave avait touché le fond de l’océan. Ici, les sols inclinés à 45 degrés s’étaient redressés et avaient retrouvé leur aplomb, et de nombreux meubles et pièces de vaisselle étaient toujours en train de voleter à travers la pièce (dont le fond était encore à ciel ouvert) pour reprendre leur place, les tables se dressant une à une toutes seules. La partie centrale du Titanic (qui avait littéralement implosé lors de la cassure) venait de se reconstituer sous leurs yeux, à une centaine de mètres, et elle vint se greffer en douceur à la partie avant, bien qu’un léger choc se fit sentir. La Salle à Manger était désormais complètement reconstruite, et déjà parée pour le petit-déjeuner… ainsi que très sombre : aucune lampe n’était allumée. Les Titanicophiles, ébahis, ressentirent un second choc léger quand la partie arrière vint se greffer à la partie avant+centrale.
Quelques secondes plus tard, le Titanic, posé en parfait équilibre sur sa quille au fond de l’océan ‘’déocéanisé’’, était officiellement complet et intact, prêt à prendre le large, comme si rien ne s’était passé le 14 avril 1912 à 23h40… Les lueurs rouges avaient disparu. Un silence religieux se tenait dans la salle. Ce fut Tiphaine qui le rompit la première.
- Nous sommes sur le Titanic. Il s’est reconstitué sous nos yeux, au fond de l’Atlantique Nord sans eau, et nous sommes à présent dedans. Ce matin, nous étions encore dans une petite goélette pour rendre un dernier hommage à notre ami, avant qu’une violente tempête surgie de nulle part ne nous fasse couler. Je ne comprends rien.
Denis, comme si on était dans une des histoires de Vincent, prit alors le commandement du groupe en étouffant un bâillement. Après toutes ces émotions, tous pouvaient ressentir une immense fatigue. En effet, patauger dans la vase sur plusieurs kilomètres pendant la moitié de la journée n’était pas de tout repos.
- Je ne comprends rien non plus. Par contre, ce que je sais, c’est que nous sommes tous fatigués. Nous allons donc nous asseoir deux minutes dans le Salon de Réception. Ensuite, nous réfléchirons à notre situation, et nous tâcherons de trouver des cabines pour dormir en paix.
Tout le monde fut d’accord, et en conséquence, Denis fut suivi jusqu’à l’élégante Salle de Réception, qui avait retrouvé toute sa noblesse passée. Il n’y avait toujours pas de lumière, et on n’y voyait donc pas grand-chose, la nuit étant tombée dehors. Les Titanicophiles s’installèrent alors sur les canapés et fauteuils les plus proches qu’ils trouvèrent. Ils y restèrent effectivement sagement assis pendant deux minutes. Au bout de la troisième, tout le monde s’était affalé l’un sur l’autre et avait sombré dans un profond sommeil.
Le Titanic accueillait ce soir ses premiers passagers depuis 103 ans. Ses 370 cabines (et 4 salons privés) rien qu’en Première Classe étaient toutes libres. Et pourtant, ces drôles de passagers s’étaient vulgairement assoupis dans une salle commune ! On leur pardonnerait : ils avaient vécu une journée éprouvante. Et demain serait un autre jour…
Chapitre 2.B - Un Océan de Secrets
Mardi 09 décembre 2014, quelque part, 12h00.
Denis se réveilla, mais n’ouvrit pas les yeux. Il n’en était pas sûr, mais apparemment, il était vivant. Il laissa donc le soin à ses sens d’étudier la situation. Il n’avait mal nulle part et pouvait bouger tous ses membres, ce qui était bon signe. En revanche, il était agité de tremblements dus au froid : il était trempé. Par ailleurs, il semblait allongé dans une substance qui semblait être de la boue : il y reposait d’ailleurs jusqu’au crâne, et ses cheveux en auraient été maculés… si il avait eu des cheveux… Il finit par ouvrir les yeux, et les referma de suite : le soleil était à son zénith au milieu d’un ciel idéalement bleu… et avait failli lui griller la rétine. Denis finit par se redresser en ouvrant à nouveau les yeux : il était un peu sonné, mais ça allait. Il finit par se mettre debout en chancelant un peu, puis regarda devant lui. Tout n’était qu’une immense vallée recouverte de boue et nimbée de brume. Au loin, il distinguait vaguement une sorte de gigantesque mur bleu. Il regarda ensuite à sa droite et à sa gauche, et vit le même paysage désolé. Il se retourna alors pour voir ce qui se trouvait derrière lui… et étouffa une exclamation. Ses compagnons titanicophiles (tous) ainsi qu’une mouette étaient allongés eux-aussi dans la vase. Il se précipita immédiatement vers Elodie et la retourna : elle était allongée sur le ventre et sa tête était à moitié enfoncée dans le sol. Il la secoua, et elle se mit à tousser assez fort avant de retrouver sa respiration… et son humour.
- Eh bien, je pourrai rayer « faire un masque de boue » de ma liste de choses à faire…
La toux d’Elodie avait réveillé les autres Titanicophiles, qui émergeaient à leur tour du sommeil qu’avait causé le naufrage du Charon : tous semblaient plus ou moins sonnés. Tiphaine, elle, était livide. Guillaume, d’un pas chancelant, s’approcha d’elle et lui tapota l’épaule.
- Ça va aller ?
Elle le regarda d’un regard brillant.
- Non, évidemment…
- Écoute… Ça pourrait être pire. On est tous vivants, après tout.
Antoine, qui essayait d’ôter la vase de ses cheveux, approuva.
- Je confirme les dires du sieur Guillaume !
Tiphaine baissa les yeux.
- Tu as raison…
Sonia, elle, gardait les pieds sur terre.
- Si j’ouvre un spa un jour, j’éviterai d’utiliser de l’eau venant de l’Atlantique Nord. Trop mouillée, et trop froide !
Il fallut un certain temps pour que tout le monde parvienne à peu près à enlever toute la vase le recouvrant. Pourtant, ils y arrivèrent, aidés en cela par une petite mare d’eau salée qui subsistait à quelques mètres de leur « point d’atterrissage ».
- Euh, sinon, personne n’a une chemise en trop ?
- Tiens Antoine, prends mon pull.
- Ah, merci Guillaume, c’est cool !
Une fois qu’Antoine eut cessé d’exhiber ce qu’il avait au-dessus de la ceinture, Tiphaine jeta un coup d’œil circulaire et posa la question qui méritait d’être posée.
- Où sommes-nous ?
Nicolas (que personne n’avait vu partir) revint parmi eux et apporta, en même temps que la mouette (endormie) qui ne le quittait plus, des réponses.
- Je crois qu’on est au fond de l’Océan Atlantique.
Sonia fronça les sourcils.
- Quoi ?
- Je sais que ça parait dingue, mais regardez le sol. De la vase. Or, c’est ce qui constitue le plancher océanique au-dessus duquel le Titanic a coulé.
Guillaume semblait circonspect.
- Euh. Si on est au fond de l’eau, où est… l’eau ?
- Elle a disparu.
Antoine était beaucoup trop cartésien pour croire ça.
- C’est pas possible, Nicolas.
- Alors suivez-moi.
Et Nicolas disparut dans la brume. Tous le suivirent, et après quelques mètres parcourus, ils se retrouvèrent devant une sorte de mur bleu. Aurélie parut très étonnée.
- Pourquoi y a-t-il un mur au fond de l’océan ? Il semble… grand… en plus.
Denis, qui était un homme très intelligent, avait compris.
- Ce n’est pas un mur. C’est l’Atlantique…
Nicolas approuva. Comme pour confirmer ses propos, la brume sembla se dissiper légèrement au-dessus d’eux et ils purent alors voir que le mur semblait monter jusqu’au ciel. Aucun mur ne faisait 4 kilomètres de hauteur… Mais Antoine n’abandonnait pas facilement.
- Très bien ! Si c’est de l’eau, alors pourquoi elle ne déferle pas sur nous ? Elle ne semble pourtant pas gelée !
Aurélie s’avança un peu et posa sa main sur le mur. Du moins, elle essaya : sa main était comme bloquée à quelques millimètres de la muraille d’eau.
- Je ne peux pas toucher l’eau… Il y a comme… une barrière invisible…
Tiphaine était la personne la plus stoïque du groupe, et qui semblait le mieux accepter la bizarrerie de la situation.
- Très bien. Nous sommes au fond de l’Atlantique Nord, dont l’eau a été retirée et est actuellement contenue par une sorte de bouclier invisible qui nous empêche d’être écrasés et noyés. On se croirait dans l’une des histoires loufoques de Vincent… Qu’est-ce qu’on fait, alors ?
Sonia essaya à son tour de toucher la muraille d’eau.
- C’est un truc de fou ! On dirait qu’on est comme dans… un verre retourné au fond d’un évier… ou un dôme géant, comme dans le truc de Stephen King !
Denis sembla légèrement assombri.
- Un dôme ? J’espère qu’on va pas finir comme à la fin du livre de Stephen King, alors…
Guillaume se tourna vers lui, curieux.
- Il se passe quoi à la fin du livre ?
Tiphaine intervint en coupant Denis, qui allait répondre.
- Tatata ! Pas de spoiler : imagine que quelqu’un nous lise !
Guillaume resta interdit.
- Nous lise ?
- Euh, nous entende, pardon…
Guillaume sembla encore plus interdit.
- Qu’on nous entende au fond de l’océan ? Mais au nom du ciel, Tiphaine, qu’est-ce que tu racontes ?!
Tiphaine leva les yeux au ciel et s’éloigna du mur.
- Je dis juste qu’on ne doit pas s’amuser à raconter la fin d’une histoire alors que des gens n’ont peut-être pas envie de la connaître si ils veulent lire ladite histoire depuis le début. Bref, on va où ?
Guillaume resta perplexe. Nicolas s’anima soudain.
- Eh !
La mouette qu’il avait ramassée s’était réveillée et envolée : elle voletait en rond au-dessus d’eux. Tiphaine regarda le volatile, étonnée.
- Même l’oiseau a survécu. J’espère que ce sera aussi le cas du Charon, ou alors Gwenaëlle va me tuer…
Elodie suivait la mouette des yeux.
- Pourquoi elle vole comme ça au-dessus de nous ?
Nicolas avait froncé les sourcils.
- Je crois qu’elle veut qu’on la suive…
Antoine paraissait exaspéré.
- Comment ça, tu crois ? Qu’on le suive ? Bon sang, Tiphaine a raison, tout ceci est grotesque : on se croirait vraiment dans une des histoires de Vincent…
- Écoute, si tu as une meilleure solution, je serai ravi de l’écouter.
Pour une fois, Antoine fut incapable de répondre à une question. Nicolas conclut le litige de manière définitive.
- Alors c’est entendu, on suit ma mouette !
Et la mouette fut patiemment suivie pendant près de quatre heures : pendant les premières minutes de ce trajet, Elodie eut d’ailleurs la surprise de retrouver le porte-clés-canard-jaune que lui avait remis Manon et qu’elle avait lâché lors du naufrage. Avancer prenait un temps fou à cause de la vase, et la fatigue pesait de plus en plus sur les Titanicophiles. Au bout d’un moment qui paraissait être une éternité, le terrain sembla commencer à monter légèrement, ce que remarqua Aurélie.
- Ah, tiens, ça monte…
Elodie paraissait ravie.
- Tant mieux, on va peut-être échapper à cette foutue brume…
Une fois le dénivelé franchi, il apparut effectivement que la brume restait limitée au niveau qu’ils venaient de quitter un peu plus bas. C’était tant mieux, mais ça ne donnait aucune indication : le paysage était toujours désolé. On entendit soudainement un bruit de verre brisé.
- Eh !
- Qu’est-ce qu’il y a ?
C’était Denis, qui avait marché sur quelque chose de dur. Le groupe s’arrêta, et Nicolas inspecta la vase sous l’empreinte de pas de Denis. Il en sortit alors trois morceaux de porcelaine blanche, qui se réunissaient pour former une soucoupe. En regardant de plus près, on distinguait les restes d’un motif doré en bordure. Ces détails n’échappèrent pas au Techie-en-chef.
- Félicitations, Denis ! Toi et tes grosses chaussures venez de casser une assiette provenant du service de Première Classe du Titanic ! C’est le motif Wisteria… Et ça vaut des dizaines de milliers de dollars.
Denis était mortifié.
- Je… C’était un accident !
- Je ne t’en veux pas, rassure-toi. De toute façon, elle était déjà sévèrement endommagée…
Tiphaine, Elodie, Aurélie, et Sonia paraissaient se faire violence pour ne pas exploser en sentiments contradictoires.
- Attendez, on marche dans la zone de débris de l’épave ?!
- On marche dans un cimetière maritime, c’est horrible !!
- Mais c’est une catastrophe, on va tout casser !
- Mais c’est magnifique ! On va être les premières personnes à voir l’épave d’aussi près… et au sec !
Guillaume, lui, ne semblait pas vouloir prendre part à la conversation. Il regardait fixement quelque chose.
- Euh, Nicolas.
- Quoi ?
- Regarde.
Guillaume pointait du doigt l’assiette en morceaux que tenait Nicolas. Celle-ci était auréolée d’une étrange lueur rouge… et ses morceaux convergeaient l’un vers l’autre jusqu’à ne plus former qu’une assiette entière. Les fissures disparurent alors, comme si l’assiette s’était ressoudée, et quelques secondes plus tard, le motif turquoise et doré de l’élégante assiette réapparut sur la porcelaine. Même le petit drapeau rouge de la White Star Line, présent sur chaque pièce de vaisselle du navire, avait refait son apparition. Denis était ébahi… et pragmatique.
- Au moins, elle n’est plus cassée. On ne pourra rien me reprocher.
Ce n’était pas fini, pourtant. L’assiette lévita doucement au-dessus des mains de Nicolas, puis se dirigea vers la direction prise par la mouette (que tout le monde avait oubliée). Antoine avait la bouche grande ouverte, mais n’avait pas perdu son humour.
- Je crois qu’on est les premiers humains à voir une soucoupe volante d’aussi près… Littéralement parlant.
L’assiette s’en allait lentement en volant vers sa destination. Les Titanicophiles remarquèrent alors que des ombres se formaient par intermittence autour d’eux : en levant la tête, ils virent qu’une véritable ligne d’objets et d’équipements, provenant d’au-delà du ‘’mur’’, lévitait et se dirigeait lentement elle aussi vers là où allait l’assiette qu’ils avaient ramassée : il y avait des valises, des bouts de bois, de la vaisselle, des papiers, et…
- Ce n’est pas… The Big Piece… ?
- Si Aurélie. Il s’agit de tout ce qui a été retrouvé sur l’épave ou ayant échappé au naufrage : tout ça a quitté ses musées et revient… ici… apparemment…
Ils s’aperçurent alors qu’il y avait aussi de l’activité au sol : autour d’eux, des trous se formaient dans la vase et des choses en sortaient avant de se reconstituer dans les airs puis de prendre la direction inconnue où allait toute cette concentration d’objets volant tous seuls : meubles, bouteilles, morceaux d’acier, vêtements… Elodie n’en revenait pas.
- Pincez-moi, je rêv… AÏE, Antoine, pas si fort !
Tiphaine était sous le choc, mais parvenait encore à s’interroger.
- Pourquoi tous ces vestiges brillent en rouge ?
Nicolas, qui semblait vivre le plus beau de ses rêves et qui parlait d’un ton étrangement calme, lui répondit.
- Je ne sais pas. Je suppose qu’on aura la réponse en allant par-là : c’était là où allait la mouette avant que Denis marche sur l’assiette…
Les Titanicophiles, fort troublés, reprirent alors leur marche. Plus ils avançaient, et plus les vestiges embourbés étaient nombreux à quitter la vase, où ils reposaient depuis un siècle, pour rejoindre le long fil d’éléments flottant en l’air vers une destination bien précise. Les compagnons pouvaient d’ailleurs parfois reconnaître certains objets emblématiques, et adoptaient une attitude extrêmement digne quand c'était le cas.
- OH MON DIEU ! C’est l’une des grilles ouvragées ornant la partie vitrée des double-portes de Première Classe ! JE LA VEUX !!
- Mais enfin, du calme Nicolas ! Tu ne peux pas l’attraper, de toute façon, elle est hors de portée. Et puis, ça peut être danger… LA PIPE DE MURDOCH ! JE SUIS SÛRE QUE C’EST LA PIPE DE MURDOCH, JE LA RECONNAIS, POUSSEZ-VOUS, JE DOIS L’ATTRAPER !!
- Non mais tu t’entends, Tiphaine ?! Faites ce que je dis, pas ce que je fais : c’est comme ça que tu fonctionnes ?!
- Ahem. Je… Silence Nicolas. Nous devons continuer à avancer avant que la nuit tombe !
On était en plein milieu de l’après-midi, mais personne n’osa relancer… Après dix nouvelles minutes de marche dans une vase toujours aussi vaseuse, ils se retrouvèrent devant un énorme objet cylindrique tout rouillé. Nicolas posa sa main dessus, les yeux brillants.
- La fameuse chaudière…
Tout le monde s’en approcha cérémonieusement, mais seul Nicolas avait osé poser sa main dessus. L’énorme masse de métal brilla soudainement en rouge, puis s’éleva hors de la boue où elle reposait. Alors qu’elle lévitait pour rejoindre les autres objets en mouvement dans les airs, la rouille qui se trouvait dessus disparut peu à peu pour laisser place à un métal brillant ayant retrouvé son éclat des premiers jours. Quelques boulons, vis, et autres morceaux métalliques jaillirent à leur tour de l’endroit où s’était trouvée la chaudière et vinrent la compléter là où il manquait des choses. Elle prit à son tour la fameuse direction qui commençait à devenir évidente, et les compagnons suivirent.
Le périple continua, et au bout d’un moment, Guillaume remarqua que Tiphaine frissonnait.
- Tiphaine ? Ça va ?
- Oui, oui… Juste qu’il ne fait pas très chaud.
- Est-ce que tu veux mon…
- T-shirt ? Non, Guillaume, je ne veux pas que tu te mettes tout nu pour moi ! Tu vas attraper froid. Je vais survivre : j’ai connu pire en promenant Manouk en hiver à Crozant...
- Mais…
- Garde ton souffle pour continuer à avancer : on est pas encore arrivés.
En « langage Tiphaine », cela voulait dire que la discussion était close. Guillaume le comprit bien et n’insista pas, mais il passa le reste du parcours à bougonner sans en expliquer la réponse, et à jeter des regards noirs au pull qu’il avait donné à Antoine. Au bout d’une bonne heure de marche supplémentaire, il fallut à nouveau escalader une légère montée du terrain. Et ce que découvrirent alors les Titanicophiles fut assez justement résumé par Denis, qui adopta une politesse de circonstance.
- Oh, putain de bordel de merde.
C’était le mot. Devant eux se trouvait la partie avant de l’épave du Titanic, considérablement abimée et rouillée par son séjour centenaire dans les profondeurs de l’Atlantique Nord. Ce spectacle était déjà, en soi, particulièrement impressionnant, surtout quand on pouvait le voir en direct sans la présence de millions de tonnes d’eau pour gâcher le spectacle. Mais la scène qu’ils avaient devant eux était rendue encore plus incroyable par l’auréole rouge entourant l’infortuné navire. La même auréole rouge entourait chacune des choses charriées par le fil d’objets volants : celui qu’ils avaient suivi venait de l’Est, mais ils purent voir que deux autres venaient de l’Ouest et qu’un venait du Nord. Ces objets se rejoignaient au-dessus de l’épave et y rentraient par tous les orifices disponibles afin que tous réintègrent leur emplacement originel. Médusés, les Titanicophiles approchèrent lentement, alors que la rouille disparaissait du bâtiment pour laisser place aux éclatantes couleurs blanche, or, noire, et ocre qu’ils connaissaient. Par contre, tout ceci restait extrêmement endommagé. Rêveurs, ils contemplèrent leur paquebot préféré (ou plutôt leur bout de paquebot), aussi haut qu’un immeuble, et il fallut un cri particulièrement perçant de ‘’leur’’ mouette pour qu’ils émergent de leur rêverie collective. Elle voletait au-dessus d’eux, et avait ensuite volé jusqu’au Pont D, où elle était entrée dans le navire par l’une des deux portes de coque situées à bâbord (il y en avait aussi à tribord, mais les compagnons se trouvaient à bâbord et il aurait été idiot de faire tout le tour) qui donnaient accès au Salon de Réception de la Première Classe. Nicolas, qui regardait juste avant l’épave déchiquetée par son naufrage, parut brusquement inquiet en voyant la mouette disparaître à l’intérieur.
- Oh non, j’ai peur qu’elle salisse tout !
Sonia lui tapota l’épaule.
- On n’a qu’à aller la chercher, viens. De toute façon, je crois qu’elle veut qu’on la suive encore.
Elodie regardait en l’air.
- Je crois que Sonia a raison. Il n’y a plus d’objets qui volent, il commence à faire noir, et j’ai l’impression qu’on devrait monter à bord.
Antoine souleva un problème.
- Et on monte comment ? On apprend à voler ?
Aurélie lui désigna simplement quelque chose : un monticule de vase qui se tenait juste sous l’ouverture qu’avait empruntée la mouette. Il suffisait de le grimper sans glisser. Alors que tout le monde se dirigeait vers le monticule, Tiphaine restait figée et paraissait peu emballée.
- C’est un cimetière marin…
Guillaume posa sa main sur son épaule et la fit doucement avancer.
- On n’a pas vraiment le choix…
Tout le monde réussit à grimper le monticule, et se retrouva alors dans le vestibule donnant accès au Salon de Réception (où se trouvaient le Grand Escalier et les ascenseurs) et aux coursives de Première Classe du Pont D. Ils étaient restés au bord, tous collés contre le mur soutenant la lourde porte de coque. Ce qui était étrange (outre tout ce qu’ils venaient de voir, évidemment) était qu’à l’intérieur, le navire était encore complètement rouillé et abîmé, mais que les vestiges qui avaient lévité jusque-là avaient déjà repris leur place : de la vaisselle propre était empilée dans un coin, des lustres flambants-neufs étaient fixés au plafond… mais ce plafond, ainsi que les murs et le sol étaient toujours délabrés. La mouette, qui s’était posée sur le buffet effondré ayant jadis contenu de la vaisselle, décolla de son perchoir et alla se poser sur la tête d’Elodie. Celle-ci, peu rassurée, fit de grands gestes pour se débarrasser du volatile, en agitant les bras et tapant du pied, s’éloignant un peu de ses amis… et dans un craquement sonore, elle passa à travers le sol qui s’ouvrit en grand sous elle. Denis eut la présence d’esprit de la rattraper d’un bras alors qu’elle passait à travers le trou béant en hurlant, et les autres Titanicophiles aidèrent à la hisser pour qu’elle ne s’écrase pas au Pont E, juste en-dessous. Par effet domino, presque tout le sol du vestibule s’effondra sur le pont inférieur dans un fracas phénoménal. Puis ce fut le silence, seulement troublé par la respiration haletante d’Elodie : Aurélie l’avait prise dans ses bras pour l’aider à se calmer. Nicolas, inquiet, regarda l’énorme catastrophe qu’ils avaient causée… ainsi que la mouette, tuée sur le coup, qui gisait à ses pieds.
- Et maintenant ?...
Comme pour lui répondre, les morceaux de métal s’étant écrasés en contrebas du Pont D s’auréolèrent de rouge et allèrent regagner leur emplacement normal, reconstituant tout le sol du vestibule. Le sol en question perdit sa rouille en quelques secondes et on put à nouveau distinguer au sol le motif de carrelage que l’on retrouvait dans le Grand Escalier. La ‘’force rouge’’ entoura aussi le cadavre de la mouette et… l’expulsa sans cérémonie des lieux à travers l’une des deux ouvertures que fermaient normalement les portes de coque, toujours ouvertes. Les Titanicophiles regrettèrent que leur ‘’guide’’ à plumes finisse ainsi, surtout Elodie (se sentant responsable) et Nicolas, mais ça leur sortit presque immédiatement de la tête, car la suite des événements fut une véritable magie : la vase (y compris celle maculant leurs chaussures et le bas de leurs vêtements) s’évaporait, les murs et les boiseries blanches fixées dessus se réparaient, la moquette se reconstituait, les poutres et colonnes se réajustaient, le Grand Escalier subissait une reconstruction accélérée, les meubles en rotin réapparaissaient, le grand piano à queue se réassemblait, les palmiers en pot semblaient surgir de nulle part, la tapisserie d’Aubusson semblait être retissée par des mains invisibles fil par fil, le candélabre tordu et terni retrouvait sa forme et son éclat d’antan, la vaisselle lévitait à travers la salle pour aller se replacer dans les buffets ou sur les tables… C’était tout le Titanic qui reprenait vie. Et c’était féérique : on pouvait presque voir des étoiles dans les yeux des Titanicophiles. Nicolas, lui, ne retenait plus ses larmes : officiellement à cause de la merveille dont il était moins, officieusement… car il n’avait aucun moyen de photographier ou filmer tout ça. Apercevant du mouvement dehors, il tourna la tête et eut le temps de voir deux grandes formes métalliques rouillées et aplaties émerger de la vase dans un grincement métallique : celles-ci se ‘’gonflèrent’’ alors et prirent une forme cylindrique ainsi qu’une couleur chamois surmontée d’un fronton noir. Les immenses cheminées. Elles s’envolèrent vers les cieux comme des fusées, des étais surgissant autour d’elles pour les fixer à nouveau sur leur base au-dessus du Pont des Embarcations : hélas, Nicolas ne pouvait pas voir ça d’ici. En revanche, il avait pu apercevoir deux immenses masses au loin léviter à toute vitesse vers eux… Nicolas, qui s’était penché vers l’extérieur en se maintenant à la coque pour mieux voir, rentra brusquement et bouscula ses amis pour filer vers la Salle à Manger de la Première Classe. Les lourdes portes de coque se refermèrent sans grincer et se verrouillèrent toutes seules, avant que ce ne soit le cas des double-portes intérieures en fer forgé. Denis paraissait au bord de l’apoplexie.
- Nicolas, où tu cours comme ça ?!
- La Salle à Manger ! On va voir la partie arrière se recoller à la partie avant !
Tout le monde se précipita à la suite de Nicolas dans une cohue bien peu aristocratique : Sonia bouscula même un palmier et s’excusa auprès de lui comme si c’était un passager. La Salle à Manger (de même style que le Salon de Réception sauf qu’il n’y avait pas de moquette) faisait partie des lieux à l’arrière de la partie avant qui s’étaient écroulés sur eux-mêmes lorsque l’épave avait touché le fond de l’océan. Ici, les sols inclinés à 45 degrés s’étaient redressés et avaient retrouvé leur aplomb, et de nombreux meubles et pièces de vaisselle étaient toujours en train de voleter à travers la pièce (dont le fond était encore à ciel ouvert) pour reprendre leur place, les tables se dressant une à une toutes seules. La partie centrale du Titanic (qui avait littéralement implosé lors de la cassure) venait de se reconstituer sous leurs yeux, à une centaine de mètres, et elle vint se greffer en douceur à la partie avant, bien qu’un léger choc se fit sentir. La Salle à Manger était désormais complètement reconstruite, et déjà parée pour le petit-déjeuner… ainsi que très sombre : aucune lampe n’était allumée. Les Titanicophiles, ébahis, ressentirent un second choc léger quand la partie arrière vint se greffer à la partie avant+centrale.
Quelques secondes plus tard, le Titanic, posé en parfait équilibre sur sa quille au fond de l’océan ‘’déocéanisé’’, était officiellement complet et intact, prêt à prendre le large, comme si rien ne s’était passé le 14 avril 1912 à 23h40… Les lueurs rouges avaient disparu. Un silence religieux se tenait dans la salle. Ce fut Tiphaine qui le rompit la première.
- Nous sommes sur le Titanic. Il s’est reconstitué sous nos yeux, au fond de l’Atlantique Nord sans eau, et nous sommes à présent dedans. Ce matin, nous étions encore dans une petite goélette pour rendre un dernier hommage à notre ami, avant qu’une violente tempête surgie de nulle part ne nous fasse couler. Je ne comprends rien.
Denis, comme si on était dans une des histoires de Vincent, prit alors le commandement du groupe en étouffant un bâillement. Après toutes ces émotions, tous pouvaient ressentir une immense fatigue. En effet, patauger dans la vase sur plusieurs kilomètres pendant la moitié de la journée n’était pas de tout repos.
- Je ne comprends rien non plus. Par contre, ce que je sais, c’est que nous sommes tous fatigués. Nous allons donc nous asseoir deux minutes dans le Salon de Réception. Ensuite, nous réfléchirons à notre situation, et nous tâcherons de trouver des cabines pour dormir en paix.
Tout le monde fut d’accord, et en conséquence, Denis fut suivi jusqu’à l’élégante Salle de Réception, qui avait retrouvé toute sa noblesse passée. Il n’y avait toujours pas de lumière, et on n’y voyait donc pas grand-chose, la nuit étant tombée dehors. Les Titanicophiles s’installèrent alors sur les canapés et fauteuils les plus proches qu’ils trouvèrent. Ils y restèrent effectivement sagement assis pendant deux minutes. Au bout de la troisième, tout le monde s’était affalé l’un sur l’autre et avait sombré dans un profond sommeil.
Le Titanic accueillait ce soir ses premiers passagers depuis 103 ans. Ses 370 cabines (et 4 salons privés) rien qu’en Première Classe étaient toutes libres. Et pourtant, ces drôles de passagers s’étaient vulgairement assoupis dans une salle commune ! On leur pardonnerait : ils avaient vécu une journée éprouvante. Et demain serait un autre jour…
Dernière édition par Canard-jaune le Mar 27 Oct 2015 - 2:02, édité 1 fois
Canard-jaune-
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Re: [Nouvelle d'Halloween] Les Limbes de Kali
Que dire de plus hormis " Je le savais pour la mouette!"
Re: [Nouvelle d'Halloween] Les Limbes de Kali
Historiapassionata a écrit:Que dire de plus hormis " Je le savais pour la mouette!"
J'avoue !
C'est très bien tout ça, j'aime bien l'idée que l'on s'endorme tous dans la même salle commune. Les Titanicophiles ne se séparent jamais ! Nous sommes un groupe, nous sommes unis, inséparables, et...j'ai hâte de choisir ma cabine perso ! J'ai bien une petite idée d'ailleurs...
Tiphaine-
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