Mais d'où venait tout cet argent ?

C'est une question qu'on se pose somme toute très peu. C'est d'ailleurs un des gros reproches que j'avais pu faire au numéro de Secrets d'histoire consacré à ces grands barons de la finance de la fin XIXe début XXe : on nous parle de leur magnifique train de vie, de leur famille, de leurs demeures somptueuses, de leurs œuvres de bienfaisance... Mais jamais de ce qui a fait leur richesse. Il faut dire que dans bien des cas, cela pourrait, pour ainsi dire, rabaisser quelque peu notre estime de ces personnages.

Bref, en lisant le très bon ouvrage d'Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis, j'ai redécouvert comment s'était enrichie la famille Astor, chose que j'avais déjà lue dans Gilded Lives d'Hugh Brewster. Et ce n'est pas glorieux. Le premier John Astor, déjà, avait entrepris d'acheter un maximum de terres à New York. Son plus grand regret à sa mort était d'ailleurs de ne pas avoir pensé à acheter tout Manhattan. La couleur est annoncée dès le départ.

Encore au moment du naufrage du Titanic, il faut garder à l'esprit que les 3/4 des revenus de la famille Astor ne venaient pas des prestigieux hôtels. Encore moins des écrits de science fiction et des brevets de JJ. Non, ils venaient des loyers de nombreux taudis qui pullulaient dans New York. Des logements insalubres, où la mortalité était encore énorme, et où s'entassaient les plus pauvres. Et il faut savoir qu'à cette époque, les campagnes se modernisant, bien des agriculteurs n'avaient plus les moyens de gérer leurs exploitations et avaient dû fuir en ville ; avec l'immigration qui s'ajoute à cela, la population d'une ville comme New York était passée en quelques quinze à vingt ans de moins d'un à quatre millions, et ça avant 1900. Je vous laisse imaginer dans quelles conditions vivaient ces gens.

Pour garder les mains propres, ou se donner bonne conscience en évitant d'avoir à collecter elle même les loyers, la famille Astor faisait gérer ces terrains par des intermédiaires... Mais il n'en reste pas moins qu'elle s'engraissait sur le dos de gens qui vivaient dans des conditions déplorables. Et par déplorables, je ne parle pas des HLM les plus crados de France aujourd'hui, qui sont, à côté, des palais. À la fin des années 1880, et dans les années 1890, le photographe Jacob Riis s'est lancé dans une grande campagne pour protester contre ces taudis, a écrit des livres dénonçant notamment les Astor (qui en possédaient de loin le plus grand nombre) et a exposé de nombreuses photographies de la vie dans ces endroits. Je vous laisse découvrir ces scènes toutes mimi :







Non, ce n'est pas le Tiers monde, mais bien un des pays les plus prospères, à une époque où se créaient les plus grandes fortunes de l'Histoire. Suite à ce reportage photo, il semble qu'Astor (le notre), au début des années 1900, ait décidé de se séparer d'une partie des pires taudis. Dans quelle proportion, Brewster ne le dit pas précisément... Mais le fait qu'il utilise l'expression "some of the worst" ("certains des pires") laisse penser que la famille en a gardé pas mal.

Cela ne remet pas en cause l'héroïsme d'Astor durant le naufrage, ou du moins sa bonne conduite. Cela ne remet pas non plus en cause le fait que l'individu était très certainement, pour sa personne intime, quelqu'un de foutrement cultivé et intéressant. Et cela ne remet pas en doute la beauté du Waldorff Astoria entre autres. Mais quand vous pensez au Titanic, gardez à l'esprit de bien des milliardaires qui voyageaient en première l'étaient grâce aux souffrances de millions de personnes... Et que la seule mort d'Astor fait finalement peu de poids, malgré sa tristesse, face aux dizaine de milliers de morts de froids et de maladie dans ses taudis, ou la règle des "femmes et des enfants d'abord" s'appliquait dans un autre sens pendant les épidémies et les hivers...

Choquant. Merci pour ces renseignements..

Au passage, je recommande fortement de jeter un oeil sur Google Images aux photographies de Jacob Riis, il y en a énormément, maintenant dans le domaine public, et c'est édifiant. De quoi remettre totalement en question le mythe du "rêve américain" qui était avant tout un moyen de tenir les gens tranquilles (mythe totalement faux, au demeurant : on sait que, parmi les 300 plus riches américains de la fin du XIXe siècle, 10% à peine étaient des "self made men" ; tous les autres venaient de familles déjà aisées). En disant aux gens : "regardez, en travaillant, vous finirez milliardaires", c'était un moyen de s'assurer qu'ils se tiennent tranquilles, même quand ils étaient payés une misère pour une quinzaine d'heures de travail.

Voila pourquoi il ne faut jamais idéaliser le passé.

Riis a aussi écrit un ouvrage désormais dans le domaine public et facile à trouver en ligne : How the Other Half Lives (comment vit l'autre moitié), au sujet de ces bidonvilles... Et c'est édifiant... Il raconte notamment : "Dans les taudis Astor, sur Elizabeth Street, nous avons trouvé quarante trois familles vivant des des logements prévus pour seize". Miam.

Je ne saurai me souvenir si j'ai cette source d'un secret d'histoire ou de l'émission "l'ombre d'un doute", mais j'y ai appris que les immeubles en brique rouge qu'on trouve aujourd'hui dans New-York, et qui se reconnaissent à leurs escaliers de secours extérieurs, étaient ceux où vivaient les émigrants du début du siècle dernier. Ironie du sort, aujourd'hui ces mêmes logements sont ultra prisés et coutent un bras.

Ce sont ces immeubles-là qui appartenaient à la famille Astor ?

Denis.

Andrews_Thomas a écrit:Ce sont ces immeubles-là qui appartenaient à la famille Astor ?

Probablement pour partie... Mais visiblement, il y avait aussi des terrains sur lesquels on était loin de l'immeuble en bonne et due forme : les "tenements" étaient à la limite du bidonville...

Merci pour cet article Antoine, je savais pour les immeubles etc, mais pas dans quelle misère était les gents qui y vivais ni encore que Astor faisait gonflé sa fortune grâce au petit gent.

Mais comme partout les gents riche on de l'argent grâce au "pauvre" ou petit gent qui ne chôme pas une seconde.   

L'émission L'Ombre du Doute n'en parlait-telle pas? Néanmoins, ton article est des plus intéressants, Antoine.
Aujourd'hui, lorsqu'on voit dans les médias des propriétaires peu scrupuleux agirent de la sorte, on s'indigne.
Mais on porte éloges pour John Astor pour le fait qu'il a péri sur le Titanic. Mais tu nous rappelles qu'il était de la même trempe que ceux qui nous font nous indigner aujourd'hui.

21PhilC1 a écrit:L'émission L'Ombre du Doute n'en parlait-telle pas? Néanmoins, ton article est des plus intéressants, Antoine.

Je ne me souviens plus de ce que disait L'Ombre d'un doute sur la question. En revanche, le Secrets d'histoire consacré à ces titans de l'industrie et qui parlait (avec pas mal d'erreurs d'après mes souvenirs) d'Astor cachait soigneusement tout ce qui pouvait entacher un peu ces personnages...

Si je me souviens bien, ça doit juste être évoqué en passant. Pas sûr qu'il y ait autant d'info que dans ton poste.
Je n'étais même pas au courant que Secrets d'histoire avait consacré une émission. Je ne connais pas la valeur de cette émission, mais s'il y a "pas mal d'erreurs" comme tu le dis... Mais dans l'ensemble, est-elle située au-dessus de la moyenne? Si c'est pour apprendre quelque chose qu'il faut désapprendre ensuite...

21PhilC1 a écrit:Si je me souviens bien, ça doit juste être évoqué en passant. Pas sûr qu'il y ait autant d'info que dans ton poste.
Je n'étais même pas au courant que Secrets d'histoire avait consacré une émission. Je ne connais pas la valeur de cette émission, mais s'il y a "pas mal d'erreurs" comme tu le dis... Mais dans l'ensemble, est-elle située au-dessus de la moyenne? Si c'est pour apprendre quelque chose qu'il faut désapprendre ensuite...

De façon générale, l'histoire à la télé est une histoire "carte postale". On peut le regarder pour avoir de belles images, mais pour ce qui est du fond, même quand des spécialistes sont interviewés, ils sont souvent à moitié coupés au montage. Dans le cas de l'Ombre d'un doute, le documentaire était dans mes souvenirs pas mauvais ; le débat qui le suivait, par l'équipe de l'émission, était en revanche pitoyable ; mais d'autres numéros, notamment celui sur la guerre de Vendée, ont été critiqués par des spécialistes pour être totalement bourrés d'erreurs.

C'est comme pour les documentaires en général : ils peuvent, pour les meilleurs, être une bonne base de départ, mais souvent, ils contiennent des erreurs même quand ils ont l'air sérieux... Donc ce n'est pas avec un documentaire qu'on découvre ou apprend de nouvelles choses, surtout à notre niveau de connaissance.

LittleTony87 a écrit:C'est une question qu'on se pose somme toute très peu. C'est d'ailleurs un des gros reproches que j'avais pu faire au numéro de Secrets d'histoire consacré à ces grands barons de la finance de la fin XIXe début XXe : on nous parle de leur magnifique train de vie, de leur famille, de leurs demeures somptueuses, de leurs œuvres de bienfaisance... Mais jamais de ce qui a fait leur richesse. Il faut dire que dans bien des cas, cela pourrait, pour ainsi dire, rabaisser quelque peu notre estime de ces personnages.

N'ayant jamais eu d'estime particulière pour Astor ou les autres grandes fortunes de la 1ère classe (à part peut-être Margaret Brown), il n'y a pas de soucis !   

LittleTony87 a écrit:Bref, en lisant le très bon ouvrage d'Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis, j'ai redécouvert comment s'était enrichie la famille Astor...

J'avais moi-même repris le livre d'Howard Zinn suite à ce reportage, histoire de voir ce que lui en disait.
Apparemment tu avances assez vite dans le livre. Encore quelques jours et tu l'auras terminé ?

LittleTony87 a écrit:Des logements insalubres, où la mortalité était encore énorme, et où s'entassaient les plus pauvres. Et il faut savoir qu'à cette époque, les campagnes se modernisant, bien des agriculteurs n'avaient plus les moyens de gérer leurs exploitations et avaient dû fuir en ville ; avec l'immigration qui s'ajoute à cela, la population d'une ville comme New York était passée en quelques quinze à vingt ans de moins d'un à quatre millions, et ça avant 1900. Je vous laisse imaginer dans quelles conditions vivaient ces gens.

Et c'est dans ces quartiers que grandirent, au début du XXe siècle, les gamins immigrés, tels que Meyer Lansky et Lucky Luciano, qui devinrent par la suite les parrains du crime organisé. On peut avoir une idée de ce à quoi ressemblait leur enfance, entre tenements insalubres et rues grouillantes, dans le film Il était une fois en Amérique.

LittleTony87 a écrit:À la fin des années 1880, et dans les années 1890, le photographe Jacob Riis s'est lancé dans une grande campagne pour protester contre ces taudis, a écrit des livres dénonçant notamment les Astor (qui en possédaient de loin le plus grand nombre) et a exposé de nombreuses photographies de la vie dans ces endroits.

Dans ma "période américaine", je me suis penchée sur les photographies de Jacob Riis. Il se trouve que certaines scènes sont des "montages", Riis ayant fait poser ses sujets comme des acteurs. Par exemple pour une photo où des gamins des rues attaquent et détroussent un homme. Néanmoins, cela ne veut pas dire que ce genre de choses n'existaient pas. Tout comme Lewis Hine qui, à peu près à la même époque, photographie les enfants au travail, heureusement qu'il y avait des personnages comme Riis pour immortaliser le vrai visage de l'Autre Monde, la Terre Promise telle que la découvrait les immigrants en débarquant du ventre des navires.

Tiphaine a écrit:

LittleTony87 a écrit:Bref, en lisant le très bon ouvrage d'Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis, j'ai redécouvert comment s'était enrichie la famille Astor...

J'avais moi-même repris le livre d'Howard Zinn suite à ce reportage, histoire de voir ce que lui en disait.
Apparemment tu avances assez vite dans le livre. Encore quelques jours et tu l'auras terminé ?

Quelques jours, je ne sais pas car il est très dense, mais j'ai dépassé la moitié, je pense.   Vraiment passionnant de voir l'histoire des US par l'autre côté de la lorgnette.