Pierre Rousseau [chef des cuisines du restaurant à la carte]

Pierre Rousseau est né en 1863 à Châtillon-en-Bazois ( France ). Il émigra à Londres à l'âge de 30 ans et dirigea les cuisines du Belgravia, le Trocadéro et le Crystal Palace. Il connaissait bien Luigi Gatti avec qui il avait déjà travaillé dans ses restaurants.

Ensuite il a été engagé par la White Star Line en 1911 comme chef des cuisines de l'Olympic avant d'être transféré sur le Titanic. Il occupait comme poste celui de chef cuisinier au restaurant à la carte. Il décéda dans le naufrage à l'âge de 49 ans n'ayant pas voulu suivre Paul Maugé dans le canot n°13 à cause de son poids.

Quel esprit de sacrifice !

C'est la seule chose qui aurait pu le sauver. En fait le canot était déjà un peu descendu et il fallait sauter. Voila pourquoi il s'est abstenu.

Il n'avait sans doute pas tord. L'officier Lowe a dit dans sa déposition que tout supplément de poids produit par quelqu'un sautant dans le bateau pouvait entraîner l'ouverture des crochets ou les faire balancer au bout des cordages. C'est pourquoi lors de la descente du canot n°14, il a tiré 3 coups de feu pour empêcher les hommes d y sauter.

Je remonte ce trèèèèèèèès vieux sujet car il y a beaucoup de choses à dire concernant Pierre Rousseau, d'autant plus qu'avec les numérisations des archives depuis une dizaine d'années, des découvertes ont été faites.
Je tiens à préciser également que ce que je vais rapporter ici est le fruit de recherches menées à quatre mains avec Alain (du site du Titanic pour ceux qui ne le connaisse pas), qui avait déjà fait un gros boulot avant que je m'incruste.

Je vais commencer par mettre un petit coup de pied dans la fourmilière : la biographie de Encyclopedia-Titanica (qu'on retrouve partout ailleurs) est à prendre avec de grosses pincettes. C'est un avis (très) suggestif, et je vais faire mon Saint-Thomas : "je ne crois que ce que je vois". Donc j'ai besoin de sources, et de les croiser pour affirmer ou infirmer,  et pas mal d'informations (comme les postes occupés dans les palaces) sur E-T sortent de nulles part, ou de la presse... qui n'est pas la plus fiable. Pour vous donner un exemple, avec Alain, on est incapable de savoir d'où vient l'information concernant son poste à l'ambassade de France. Nous n'avons pratiquement aucun doute sur le fait qu'il y ait travaillé (je vous dirais pourquoi), mais voilà, impossible pour l'instant de remonter à la source (et mon passage dans les archives diplomatiques n'est pas encore à l'ordre du jour).

Si cette introduction ne vous a pas encore fait fuir, je peux passer aux informations proprement dites (parce que c'est ça qui nous intéresse quand même   )

Pierre Rousseau est  né le 13 octobre 1863 à Châtillon-en-Bazois, village de moins de 2000 habitants, assez éloigné des grandes villes (la plus proche étant Nevers, 50 kilomètres à l'ouest).
Il est le fils de Jean Rousseau et de Anne Durand, dernier d'une fratrie de six enfants ; et quand je dis dernier, c'est limite si ce n'est pas un accident puisqu'il est arrivé dix ans après son frère. De ses cinq frères et sœurs, il n'en reste plus que deux : François (1845-1903), qui a fait toute sa vie dans la Nièvre, et Pierre (né en 1853), qui a longtemps été présenté comme un frère décédé en bas-âge, alors qu'il n'en est rien.

Niveau familiale, on se trouve ici chez une famille de petits propriétaires terriens, un peu plus aisé que la moyenne, sans pour autant rouler sur l'or. Il semblerait d'ailleurs que les deux Pierre aient eu plus de chance que leur aîné, qui était illettré.

Notre Pierre étant bien plus jeune que ses frères, il a vécu assez rapidement seul avec ses parents. C'est en tout cas ce qui ressort du recensement de population de 1876. Par contre, il n'est plus à Châtillon en 1881 (il a alors 18 ans). Difficile de savoir ce qu'il a fait à ce moment là : domestique de ferme ? Où plus probablement apprenti cuisinier ?

Dans tous les cas, à l'âge de 20 ans, il est recensé en vue d'effectuer son service militaire. Et sa fiche matricule est particulièrement intéressante : la description physique est très sommaire puisque n'est indiqué que sa taille : 1m66. Mais bon, ce n'est pas trop grave puisqu'on connait son visage depuis longtemps.
On apprend qu'il est déjà cuisinier, et qu'il a passé le conseil de révision non pas à Nevers comme attendu... mais à Lille. Il avait déjà la bougeotte à cette époque (ou de superbes opportunités !), même si son domicile est encore officiellement à Châtillon.

Après un service étonnamment court (moins d'un an), on perd sa trace jusqu'en 1889, date où il s'installe à Paris.  

Et je vais terminer ici pour aujourd'hui.

Je peux déjà juste vous teaser une chose : on a retrouvé la trace de sa femme Alice Bazin au détour d'un document de succession. Grâce à cela, on a réussi à dérouler une grosse partie de la vie privée de Pierre Rousseau, chose qu'on aurait peut-être jamais pu faire sans cette chose magique qu'est l'indexation collaborative (c'est décidément géniale).

Un grand merci à toi pour les infos que tu ajoutes le concernant. J'avoue que le teaser donne envie d'en lire plus

Merci Franck ! Voilà la suite.

Je vais vous parler aujourd'hui de la vie privée de Pierre Rousseau, qui a longtemps été une grande inconnue dans son histoire. Si vous parcourez le net, vous tomberez grosso modo sur les mêmes infos, à savoir qu'il s'est marié avec une certaine Alice Bazin (née vers 1862), probablement dans les années 1880 et qu'ils ont ensemble une fille prénommée Berthe (née vers 1885) ; ils sont aussi tous nés en France. Ces infos sont tirés du recensement de Londres de 1901, et comme tout document de ce type, il est a prendre avec énormément de précautions. En se basant uniquement sur ces données, nous avons tout simplement cherché aux mauvais endroits et moments... (et des Alice Bazin et des Berthe Rousseau, il y en a un paquet à cette époque !)

Comme dit plus haut, c'est grâce à un document de succession indexé que nous avons réussi à débloquer la situation. Il était indiqué qu'une certaine Alice Bazin, décédée en 1922 dans la Nièvre, était veuve de Pierre Rousseau. Pour écarter tout risque d'homonymie, je l'ai recherché dans le dernier recensement de population de sa commune avant son décès (donc 1921). Et là, autant vous dire que ce fut le jackpot : Alice Bazin, veuve Rousseau, vit avec sa fille Berthe... Sellier (dont l'âge correspond avec celle du recensement de Londres) et sa petite fille.

Berthe n'est donc pas la fille de Pierre Rousseau comme on le pensait jusqu'à présent, mais la fille du premier mariage de sa mère. Autant dire qu'on aurait pu chercher encore longtemps sans cette donnée cruciale.

Donc qui sont ces deux femmes ?

Alice Bazin est née à Châtel-Censoir (Yonne), le 27 septembre 1854 (vous noterez que le recenseur londonien l'a rajeuni d'une dizaine d'années !). Elle épouse Alexandre Alphonse Sellier le 6 janvier 1873 à Châtel-Censoir et le couple semble très vite monter en région parisienne. Ils ont ensemble quatre enfants, tous nés à Paris : deux jumelles décédées à l'âge d'un mois, Alphonse (né en 1880) et Berthe (née en 1884). À la capitale, Alexandre Sellier exerce divers métiers, représentant de commerce, mécanicien, voir cocher. Ce dernier décède à Paris le 2 octobre 1895.

Quand est-ce que Pierre Rousseau a croisé la route de sa future femme ? Certainement au début des années 1890 lorsqu'il s'installe à Paris (à noter qu'il ne vit pas du tout dans les mêmes arrondissements que le couple Sellier-Bazin). Je suppose (et cela reste très subjectif) que leur relation a commencé du vivant d'Alexandre Sellier. Pourquoi ? Parce qu'il est indiqué dans l'acte de décès de ce dernier qu'il est veuf (alors qu'Alice a encore quelques décennies à vivre !), ce qui pourrait signifier que le couple ne vit plus ensemble depuis un moment et que les déclarants ne sont pas au courant de cette situation.

Pierre Rousseau ayant migré à Londres en avril 1893, je suppose qu'Alice l'a suivi avec sa fille (d'ailleurs, lors du recensement militaire d'Alphonse Sellier, le fils aîné d'Alice, il est précisé qu'elle vit en Angleterre).

Du coup, quand est-ce que ce sont mariés Pierre et Alice ? Et bien je ne sais toujours pas ! Mais j'ai des pistes solides qui ne demandent qu'à être vérifié aux archives diplomatiques. Je pense qu'ils se sont mariés au Consulat français de Londres, quelque part entre 1895 et 1901 (dates du décès d'Alexandre Sellier et du recensement de Londres). Pourquoi au Consulat ? Ce sera pour la suite !

En bonus, je vous joins l'acte de décès du frère aîné de Pierre Rousseau, décédé à Paris le 4 mai 1892. Pas que ce soit super réjouissant, mais comme il déclare le décès, c'est un des rares documents "officiels" où figure sa signature.

Merci à toi pour ces recherches poussées !
On en sait plus sur la vie privée de Pierre et notamment le fait que Berthe était sa belle-fille. Il a dû l'élever comme son propre enfant ?
Je me demande aussi à quel moment avait-il choisi de travailler sur des paquebots.

Joris

C'est très difficile répondre à cette question Joris. À moins de découvrir des documents écrits attestant d'un lien affectif entre Pierre et Berthe, on ne peut que faire des suppositions sur leur entente. C'est possible qu'il l'ait élevé comme sa fille (elle devait avoir une dizaine d'années, peut-être moins, lorsque Pierre et Alice se sont rencontrés), mais encore une fois, on en sait rien.

Ce que l'on sait en revanche, c'est qu'elle a vécu sous leur toit jusqu'à son mariage (elle avait 20-21 ans il me semble) et que Pierre figurait parmi les témoins de la noce.

D'ailleurs, en parlant mariage, je me demande si cette photo très connue de Rousseau n'a pas été prise lors d'une noce : le nœud papillon, la veste de costume, sans parler de la fleurs à la boutonnière... ça n'a pas l'air d'être un petit événement.


Quant à la carrière de Pierre Rousseau, paquebot inclus, c'est à mon sens le morceau le plus difficile à appréhender. En somme, on possède beaucoup d'informations sur ses différents postes dont on ne connait pas les sources (sauf la presse, à prendre avec des pincettes), et encore moins la chronologie (je doute qu'elle soit linéaire).

Manny a écrit:C'est très difficile répondre à cette question Joris. À moins de découvrir des documents écrits attestant d'un lien affectif entre Pierre et Berthe, on ne peut que faire des suppositions sur leur entente. C'est possible qu'il l'ait élevé comme sa fille (elle devait avoir une dizaine d'années, peut-être moins, lorsque Pierre et Alice se sont rencontrés), mais encore une fois, on en sait rien.

Tu as raison, ça risque d'être compliqué de trouver des infos fiables.

Pour choisir de travailler sur les paquebots, il fallait ne pas être dérangé par le fait de rester loin de la terre ferme pendant des semaines. Comme il avait un travail qui pouvait se pratiquer ailleurs, je me demandais quelles avaient été ses motivations, mais cette question est valable pour tous ceux qui exerçaient sur les paquebots des métiers pouvant être pratiqués à l'extérieur, et ça doit dépendre de chacun.

Joris

Excellent ! Des infos inédites sur Pierre Rousseau. Ta démarche démontre bien combien il est difficile de retracer le parcours de ces gens qui, au gré de leurs pérégrinations, se déplaçaient. C'est la même chose pour Gatti dont on ne sait finalement pas grand chose, tant les informations le concernant qui ont longtemps circulé - et circulent encore - sont imprécises ou erronées.
Merci encore !

Joris a écrit:Tu as raison, ça risque d'être compliqué de trouver des infos fiables.

Je vais compléter mon propos concernant l'entente entre Pierre et Berthe. À moins d'avoir des écrits directs des deux concernés, ce sera effectivement difficile de connaître leur lien affectif. Par contre, je suppose que certains documents administratifs pourraient nous renseignaient indirectement, si on réussi à lire entre les lignes. Lors de la succession de Pierre, il serait intéressant de savoir s'il a légué des choses à sa fille adoptive (par testament par exemple). Ce document existe puisque Alain en a retrouvé une trace sur une indexation (je ne sais plus sur quel site par contre), mais je ne connais pas du tout le fonctionnement des archives britanniques, donc le consulter... il va certainement falloir demander un coup de main à des habitués.

Franck74 a écrit:Ta démarche démontre bien combien il est difficile de retracer le parcours de ces gens qui, au gré de leurs pérégrinations, se déplaçaient. C'est la même chose pour Gatti dont on ne sait finalement pas grand chose, tant les informations le concernant qui ont longtemps circulé - et circulent encore - sont imprécises ou erronées.

À partir du moment ou un individu bouge, ça peut devenir très difficile de le pister (d'autant plus lorsqu'on passe les frontières). Lorsque je rencontre ce cas de figure, ce sont généralement les enfants qui me permettent de retracer le parcours. Pour Rousseau, c'est donc d'autant plus difficile puisqu'il n'en a pas.
Ton article sur le Restaurant à la Carte (je ne sais plus dans quel L41 il était, mais ça remonte) m'a déjà permis de poser les bases, et de compléter les informations qui étaient manquantes à l'époque. D'ailleurs, la seule "preuve" directe que j'ai trouvé à ce jour concernant son passage sur l'Olympic vient de la photo du personnel qui était dans ton article. Est-ce que tu la possèdes toujours ? Elle est trop petite sur le PDF pour pouvoir zoomer, et c'est frustrant.

Je te rejoins concernant Gatti, on sait peu de chose sur lui, et les sources ne sont jamais mentionnées. J'ai retrouvé la trace de ses restaurants sur des bibliothèques en ligne (dont un menu des années 1890), mais rien de bien concret. Je ne sais même pas si on connait leur emplacement (je n'ai pas encore cherché cela dit).

Je reviens bientôt avec d'autres informations, j'ai besoin de mettre mes notes en forme parce que c'est vraiment l'anarchie. Il sera question la prochaine fois d'Ambassade et d'un mariage.

Merci beaucoup pour ton dernier message.
Oui je dois avoir la photographie et te l'enverrai.
Pour preuve de son engagement à bord de l'Olympic, je regarderai la liste des personnes à bord et te le confirmerai.
Passe une bonne journée,
Franck

Oh trop chouette, merci Franck, j'ai hâte de la voir en meilleur qualité ! Tu te souviens comment tu l'avais eu ? Ton article mentionne que c'est une photo appartenant à la famille Gatti.
Par ailleurs, si tu as d'autres documents concernant Rousseau, je suis preneuse (tu t'en doutes ). Est-ce que les manifestes de l'Olympic sont en ligne d'ailleurs ? Je n'ai rien trouvé de probant lors de mes recherches (mais j'ai peut-être mal cherché).

Bonjour, oui ça peut être en ligne mais je n'ai pas le lien sur moi, il faut que je cherche. La photo ? De mémoire je dirais le livre de Corrado Ferulli. Je vérifierai, je ne suis pas chez moi.