Le Titanic a-t-il vraiment changé la loi ?

C'est quelque chose qu'on lit un peu partout : le naufrage du Titanic aurait profondément changé les lois maritimes en vigueur et amélioré la sécurité en mer. Sauf que, dans les faits, les choses sont un peu plus compliquées. Les deux commissions d'enquête ont émis des recommandations assez claires, et que nous connaissons bien, je ne reviens pas dessus. Mais l'application a été plus compliquée. Oui, pour ce qui concerne la patrouille des glaces, des mesures ont été immédiates ; de même pour les accords sur l'usage de la TSF, dès l'été 1912. Mais le reste ? Les canots, la construction navale, les pratiques ? Eh bien en fait, pas tant que ça. La convention SOLAS s'est bien réunie en 1914 pour décider de normes internationales, mais 1914, c'est surtout l'année de la guerre, et au final, rien n'a été acté. Il a fallu attendre 1929 pour que des mesures soient vraiment prises : le Titanic était alors bien loin.

Mais surtout, à chaque fois, les limitations étaient nombreuses : en gros, on établissait une règle (genre "tant de canots" ; "tel type de compartiments"), mais avec une exception très large pour les navires déjà existants (en gros, "si c'est pas possible de changer, tant pis"). Et puis concernant la vitesse, rien n'a vraiment été fait : certes, on a rappelé que les capitaines devaient être prudents, mais malgré tout, la vitesse des navires a continué à exploser. Franchement, les 30 noeuds du Normandie font passer le Titanic pour une tortue.

En fait, les actions sont surtout venues des compagnies elles-mêmes, bien conscientes que leur réputation était en jeu. Dès la commission d'enquête, Ismay a par exemple fait avaliser la règle selon laquelle plus un navire de l'IMM ne quitterait le port sans que tous les gens à bord aient une place dans un canot. Pour bien des navires, cela signifiait que leur capacité de transport allait énormément baisser, et donc leur rentabilité. De même, les transformations de l'Olympic et du Britannic du point de vue des compartiments sont très impressionnantes, mais dans les faits, c'était surtout de la communication : même sans, ils restaient des navires très sûrs, et il s'agissait surtout de rétablir la confiance.

En bref, comme souvent, la loi a été assez impuissante et les compagnies ont fait ce qu'elles voulaient bien faire. C'est très parlant pour les canots, encore aujourd'hui : oui, on respecte des normes chiffrées ; mais pour l'applicabilité dans la pratique ? Ce n'est pas si évident. Et surtout, pour pas mal de compagnies la vitesse n'a pas été remise en question : certes, on ne criait plus partout qu'on voulait battre des records, mais malgré tout, il n'était pas question de mécontenter les passagers en arrivant en retard. Paradoxalement, du point de vue de la vitesse, la White Star était une exception car, depuis l'arrivée de Bruce Ismay voire un peu avant, elle la rejetait totalement.

C'est vrai que ça devait être compliqué de faire tous les changements très rapidement, et que dans les faits tous n'ont pas été appliqués partout.
Maintenant, malheureusement, on peut considérer que s'il n'y avait pas eu le drame du Titanic, les lois auraient été modifiées encore plus tardivement et il n'y aura pas eu cette prise de conscience. J'aurais bien sûr préféré que jamais ce drame n'ait eu lieu et malheureusement il faut toujours un drame pour que les choses puissent bouger un minimum.

Joris

C'est vrai qu'avec l'approche de la guerre et à partir de 1914 on avait d'autres priorités hélas. Sans ce drame, il est vrai que les choses auraient mis plus de temps à bouger. Sans doute que le naufrage de l'Empress of Ireland ou du Lusitania aurait été plus au cœur des mémoires. Peut-être pas. Il est aussi tristement ironique de constater que malgré cette catastrophe, les applications des nouvelles lois n'ont été que peu suivies et que c'est Ismay qui a tenté de les faire suivre.
Concernant le ruban bleu et la vitesse j'ai lu récemment (merci Gérard Piouffre pour son dernier livre) qu'en effet la White Star cherchait bien plus le confort que la rapidité de leur voyage. Mais l'imaginaire collectif n'a pas retenu ce fait, en témoigne les nombreuses représentations autour du paquebot.