Les bétaillères de la White Star

On dit parfois que les passagers de troisième classe du Titanic étaient transportés comme du bétail. C'est faux. Mais savez-vous que la White Star a réellement transporté du bétail ?


Le Georgic de 1895.

Dans les années 1880, le transport de bétail vivant sur l'Atlantique était en plein essor : les Etats-Unis fournissaient en effet énormément de bêtes pour approvisionner l'Europe, au point qu'en 1889, ce sont 450 000 animaux qui ont traversé l'océan. La White Star ne pouvait décemment pas rester immobile face à ces profits potentiels. C'est pour cela qu'elle a mis en service en 1888 et 1889 le Cufic et le Runic, ses premiers transporteurs de bétail (4500 tonneaux environ).

Dès 1891, deux nouveaux les rejoignent, le Nomadic (premier du nom !) et le Tauric : on est déjà à 5700 tonneaux, toujours plus gros ! En effet, autant au retour, les navires transportent du bétail, autant à l'aller, ils doivent embarquer de grosses cargaisons pour être rentables. En 1892, rebelote, avec le Naronic et le Bovic. Le premier vous dit peut-être quelque chose : on a parlé de son étrange disparition ici. On est déjà à 6500 tonneaux. En 1893 s'ajoute le Cevic (8300 tonneaux), et en 1895, un monstre, le Georgic avec 10 00 tonneaux : plus gros navire de la White Star, devant le Majestic et le Teutonic, à l'époque !

Le souci, c'est que le transport de bétail est très vite passé de mode. On comblait le tout avec des passagers transportés un peu à l'arrache, mais, allez savoir pourquoi, ça avait mauvais image. En 1898, un nouveau transporteur de bétail, le Cymric, devait entrer en service avec 13000 tonneaux, mais il a été transformé pour transporter des immigrants à la place. Le boom des vaches était passé.

Dès 1895, le Runic quitte la flotte, rapidement rejoint par le Cufic ; en 1903, le Nomadic et le Tauric sont échangés à la Dominion Line contre quatre paquebots flambant neufs (dans le cadre de l'IMM). Ils ont dû se sentir un peu arnaqués, à la Dominion Line. Seuls le Bovic, le Georgic et le Cevic ont durablement servi la White Star, mais plus probablement comme cargos que comme navires bétaillers.

C'est quand même intéressant de voir qu'à l'époque, on pouvait en quelques années mettre coup sur coup huit navires en service... pour se rendre compte presque aussitôt qu'ils ne serviraient finalement pas pour ce pour quoi on les a construits...

Oui la White Star s'est précipitée mais s'en est bien sortie à la fin. D'autres compagnies ont dû en faire les frais également. Pourquoi la Dominion Line a accepté une si mauvaise affaire, 2 vieux bateaux contre 4 neufs ?

Ils n'avaient pas vraiment le choix, en fait. Les deux compagnies faisaient partie de l'IMM depuis 1902, et il fallait réorganiser les flottes pour optimiser le tout. La Dominion, qui desservait le Canada, était secondaire. Ils ont récupéré le Nomadic, le Tauric et le Germanic (qui avait déjà 25 ans !) et ont en échange dû donner quatre navires (dont le futur Republic). Le Laurentic et le Megantic, construits en 1909, devaient aussi, à l'origine, appartenir à la Dominion mais ont changé de propriétaire en cours de construction. C'était courant, et comme la White Star était le morceau prestigieux, c'était souvent en sa faveur.

Finalement, dans les années 1920, la Dominion a été totalement aspirée par la White Star...

Ça a été une manne importante ce transport de bétail et la White Star Line a bien fait d'y participer même si ça s'est arrêté relativement vite.

Il y avait surtout des vaches, des bœufs et des taureaux qui y étaient transportés mais aussi des chevaux, moutons, chèvres, porcs... je présume ? Également de la volaille parfois ?

Joris

À priori, principalement des bovins, mais le Naronic transportait aussi des chevaux durant sa dernière traversée, et des oiseaux, il me semble. Mais ça devait être plus accessoire.

Ce qui m'interroge, c'est l'état dans lequel arrivaient les bêtes. En imaginant une traversée de 7 jours - voir plus si nous sommes dans la décennie 80, sans contact avec l'extérieur et je suppose, avec un enclos nettoyé une fois avant chaque traversée... on doit être pas loin de nos poules élevées en batterie, avec un produit qui doit pas avoir la tête des premières fraicheurs.

C'est très probable. Néanmoins, la White Star essayait d'assurer de bonnes conditions aux bestiaux (bon, on reste vague sur les "bonnes conditions" ) pour une raison toute bête : il est probable que si l'animal ne survivait pas à la traversée, c'était à la charge de la compagnie. Il me semble quand même qu'en certaines occasions, il y a eu des morts en masse. C'est notamment le cas sur le Cufic en 1895, où on a décompté 75 bêtes mortes en une traversée, d'après les rapports du capitaine, un certain Edward Smith...