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Message  Manny Jeu 20 Mar 2014 - 21:51

Le plaisir est pour moi Tiphaine, ce passage et ce chapitre entier est magnifique oui. Je l'ai recopié dans son intégralité et comme il fait bien une page complète, je l'ai tronqué pour garder ces deux passages. clin 
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Message  Tiphaine Dim 23 Mar 2014 - 14:49

Nicomurgia a écrit:J'aime particulièrement ta première citation de Lord Jim, Tiphaine, celle sur la rêverie devant le feu, et celle de Canard sur le fait de nommer les choses. Mais de ces trois là, la première est la seule qui me donne un plaisir purement esthétique, je veux dire, la seule que je n'aime que parce que je la trouve belle.

Contente qu'elle te plaise. J'en ai noté plusieurs pendant ma lecture de Lord Jim, mais j'ai choisie entre autres celle-ci à poster ici parce que c'est l'une des plus fortes et des plus belles (il y a d'autres magnifiques passages de ce genre, mais souvent bien trop longs pour être publiés en extraits).Même en dehors de son contexte je trouve qu'elle garde toute sa puissance émotionnelle.

Historia > C'est un extrait du tome 1 ? Je n'ai lu que celui-ci dans la série des Hunger Games, car je n'ai pas accroché plus que ça. J'en suis la première déçue parce que sur le coup je pensais trouver un nouveau "Harry Potter" (dans l'idée de suivre une série en attendant chaque sortie de tome avec impatience). Pourtant, j'ai sentie que si je l'avais lu plus jeune, j'aurais très probablement eu envie de continuer...

Canard > Merci pour ces nombreux extraits !


Hier soir, une conversation en famille m'a rappelé un passage de David Copperfield, de Charles Dickens, que j'ai lu l'an dernier. Ceux qui connaissent savent que ce n'est pas un livre particulièrement gai, et pourtant aux pages 283/284 il y a un passage sur la tante de Copperfield que j'avais trouvé assez drôle. En le lisant je m'imaginais cette dame assez sévère, avec sa longue robe, sortir dans son jardin et courir derrière les ânes...! Peut-être est-ce d'autant plus amusant que cela se passe peu après plusieurs sombres chapitres. En voici un extrait (j'ai réussie à ne pas dépasser les 10 lignes, ouf !).

- Jeannette ! Des ânes ! 
Là-dessus Jeannette remonta l'escalier en courant comme si la maison avait pris feu et se rua au-dehors vers un petit carré d'herbe qui était devant la maison, et elle fit reculer par ses cris deux ânes de selle (montés par des dames) qui avaient eu la présomption d'y poser leurs sabots [...] Aujourd'hui encore j'ignore si ma tante avait légalement le droit de passage sur ce carré de gazon ; mais dans son esprit elle avait décidé qu'elle avait ce droit, et pour elle cela revenait au même. La plus grande abomination à ses yeux, demandant continuellement vengeance, était le passage d'un âne en ce lieu immaculé. Quelle que fût son occupation du moment, quelque intérêt que présentât pour elle la conversation à laquelle elle prenait part, en un instant un âne pouvait détourner le cours de ses pensées et immédiatement elle fonçait droit sur lui. [...] il y eut trois alertes avant que mon bain fût prêt ; et à l'occasion de la dernière je vis ma tante combattre seule contre un gamin de quinze ans [...] et cogner la tête de ce garçon contre la grille de son jardin, avant qu'il parut comprendre ce qui lui arrivait. Ces interruptions me semblèrent d'autant plus ridicules que, pendant ce temps, elle me donnait du bouillon avec une cuillère à bouche (car elle était fermement convaincue que je mourrais littéralement de faim, et que je devais recevoir d'abord mes aliments par très petites quantités) ; ainsi, pendant que j'avais encore la bouche ouverte pour recevoir la cuillère, elle la remettait dans le bol, s'écriait : "Jeannette, des ânes !" et s'élançait à l'assaut.

David Copperfield, Charles Dickens
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Message  Manny Dim 23 Mar 2014 - 20:15

Extrait assez cocasse en effet, j'imagine bien la scène.
Merci pour le partage !
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Message  Antoine Jeu 3 Avr 2014 - 19:36

En relisant 1984, d'Orwell, je trouve un passage particulièrement actuel, et qui prête à réfléchir : je vous le cite ici, même s'il est relativement long.

"Dès le moment de la parution de la première machine, il fut évident, pour tous les gens qui réfléchissaient, que la nécessité du travail de l'homme et, en conséquence, dans une grande mesure, de l'inégalité humaine, avait disparu. Si la machine était délibérément employée dans ce but, la faim, le surmenage, la malpropreté, l'ignorance et la maladie pourraient être éliminées après quelques générations. En effet, alors qu'elle n'était pas employée dans cette intention, la machine, en produisant des richesses qu'il était parfois impossible de distribuer, éleva réellement de beaucoup, par une sorte de processus automatique, le niveau moyen de vie des humains, pendant une période d'environ cinquante ans, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe.

Mais il était aussi évident qu'un accroissement général de la richesse menaçait d'amener la destruction, était vraiment, en un sens, la destruction d'une société hiérarchisée.

Dans un monde dans lequel le nombre d'heures de travail serait court, où chacun aurait suffisamment de nourriture, vivrait dans une maison munie d'une salle de bains et d'un réfrigérateur, posséderait une automobile ou même un aéroplane, la plus évidente et peut-être la plus importante forme d'inégalité aurait déjà disparu. Devenue générale, la richesse ne conférerait plus aucune distinction.

Il était possible, sans aucun doute, d'imaginer une société dans laquelle la richesse dans le sens de possessions personnelles et de luxe serait également distribuée, tandis que le savoir resterait entre les mains d'une petite caste privilégiée. Mais, dans la pratique, une telle société ne pourrait demeurer longtemps stable.

Si tous, en effet, jouissaient de la même façon de loisirs et de sécurité, la grande masse d'êtres humains qui est normalement abrutie par la pauvreté pourrait s'instruire et apprendre à réfléchir par elle-même, elle s'apercevrait alors tôt ou tard que la minorité privilégiée n'a aucune raison d'être, et la balaierait. En résumé, une société hiérarchisée n'était possible que sur la base de la pauvreté et de l'ignorance."

Orwell écrivait ça en 1950. Aujourd'hui, encore, je pense que les classes supérieures profitent de leur situation grâce à l'ignorance (souvent attisée et encouragée, d'ailleurs) et à la précarité des classes situées en dessous... J'en profite pour recommander à tous ce livre passionnant... Et parfois effrayant d’actualité.
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Message  Tiphaine Sam 5 Avr 2014 - 12:32

Merci pour cet extrait, c'est très actuel... Voilà qui laisse à réfléchir. Je n'ai jamais lu 1984, mais ça m'a l'air intéressant. Je feuilletterais chez toi.

Entièrement d'accord en ce qui concerne l'ignorance et la façon dont les élites en profitent.
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Message  Antoine Sam 5 Avr 2014 - 12:42

Tiphaine a écrit:Merci pour cet extrait, c'est très actuel... Voilà qui laisse à réfléchir. Je n'ai jamais lu 1984, mais ça m'a l'air intéressant. Je feuilletterais chez toi.

Entièrement d'accord en ce qui concerne l'ignorance et la façon dont les élites en profitent.
Il insiste ensuite sur la façon dont, en rendant les questions importantes (politiques, économiques) compliquées et inintéressantes, on parvient à créer une approbation tacite et à supprimer l'indignation. Et là aussi, c'est très actuel quand on voit les gens dire "c'est trop compliqué", "j'y comprends rien" : il est clair que les choses sont volontairement complexifiées par une partie des élites qui dirigent politiquement ou économiquement le monde... Et là aussi, c'est efficace : en désintéressant les gens, on peut ensuite faire tout ce qu'on veut sans que les gens rouspètent. Et ça, Orwell l'avait prédit, ou déjà compris...
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Message  Tiphaine Dim 20 Avr 2014 - 23:58

Deux extraits tirés d'un même livre de Joseph Conrad, le fameux Typhon publié en 1903. Visiblement l'une des plus connues de ses œuvres. Le titre me plaisait à lui seul, alors après Lord Jim c'est sur celui-ci que j'ai jeté mon dévolu. Dans le livre ces deux extraits se suivent presque. Néanmoins, ce sont pour des raisons différentes que je les publie. Dans le premier c'est le thème qui est abordé qui me plait, ainsi que l'image de la main géante nous disperse au hasard vers nos destins. Quant au second, il m'a tout simplement fait rire. Je ne sais plus où j'avais déjà lu, une fois, que le seul sujet de conversation qui intéresse depuis toujours les marins est, et restera, la météo !


N'ayant d'imagination que tout juste ce qu'il en fallait pour le porter d'un jour à l'autre, et pas plus, il demeurait tranquillement sûr de lui, sans jamais pourtant se monter le coup. C'est l'imagination qui nous rend susceptibles, arrogants et difficile à contenter ; tout navire commandé par le capitaine MacWhirr devenait le flottant asile de l'harmonie et de la paix. A vrai dire, les écarts fantaisistes lui étaient aussi interdits que le montage d'un chronomètre au mécanicien qui ne pourrait disposer que d'un marteau de deux livres et d'une scie. Et cependant ces vies, sans intérêt, entièrement absorbées par l'actualité la plus simple et la plus immédiate, ont leur côté mystérieux. Comment comprendre, dans le cas de MacWhirr par exemple, quelle influence au monde avait bien pu pousser cet enfant parfaitement soumis, ce fils d'un petit épicier de Belfast, à s'enfuir sur la mer ? Cet exemple suffit, pour peu qu'on y réfléchisse, à suggérer l'idée d'une immense, puissante et invisible main, prête à s'abattre sur la fourmilière de notre globe, à saisir chacun de nous par les épaules, à entrechoquer nos têtes et à précipiter dans des directions inattendues et vers d'inconcevables buts nos forces inconscientes.

Typhon – Joseph Conrad


Comme l'idée de laisser un mot derrière ne lui était pas venu à l'esprit, il fut pleuré comme mort jusqu'au jour où, huit mois après, sa première lettre arriva, datée de Talcahuano. Elle était courte ; on y lisait : Nous avons eu très beau temps pour la traversée. [ …] Dans le cours des années qui suivirent, il écrivit parfois à ses parents pour les tenir au courant de ses promotions successives et de mouvements sur le vaste globe. Dans ses missives, on pouvait trouver des phrases comme celles-ci : Il fait sérieusement chaud ici ou encore : A 4 heures après midi, le jour de Noël, nous avons croisé des icebergs.

Typhon – Joseph Conrad
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Message  Tiphaine Mer 30 Avr 2014 - 17:41

Encore du Conrad, parce que je ne m'en lasse pas.

Le premier extrait est un peu long mais je ne peux me résoudre à l'amputer d'une ou deux phrases. Il y a exactement ce qu'il faut au bon endroit. C'est comme Mozart, dans le film Amadeus, expliquant à je ne sais plus quel souverain qu'il y a juste ce qu'il faut de note dans sa partition. J'ai choisi cet extrait parce que le thème qui est abordé est particulièrement intéressant. Comment un livre peut-il parvenir à nous convaincre contre nos principes uniquement parce que l'auteur a du talent pour dire les choses ? En fait ça m'a fait penser à Mein Kampf, même s'il n'existait pas encore au moment où Conrad rédigea ces lignes et même si l'on dit qu'il était plutôt indigeste.

Quant au second extrait il est simplement beau.


A la lumière de ce que j'appris par la suite, cependant, le premier paragraphe me frappe aujourd'hui comme de mauvais augure. L'auteur commençait par cet argument que nous les Blancs, du fait du degré de développement auquel nous sommes parvenus, « devions nécessairement paraître à leurs yeux (ceux des sauvages) sous les espèces d'êtres surnaturels – nous les abordons avec une puissance quasi divine », et ainsi de suite. « Par le simple exercice de notre volonté, nous pouvons mettre en jeu un pouvoir pratiquement sans limites au service du bien », etc. A partir de là, il prenait son essor et m'emportait avec lui. La péroraison était magnifique, bien que difficile à retenir, voyez-vous. Elle me donnait le sentiment d'une Immensité exotique gouvernée par une auguste Bienveillance . Elle me causait des fourmillements d'enthousiasme. C'était le pouvoir sans limite de l'éloquence – des mots – des mots d'une ardente noblesse. Aucune suggestion pratique ne venait interrompre le flot magique des phrases, à moins qu'une sorte de note en bas de la dernière page, griffonnée manifestement beaucoup plus tard d'une main fiévreuse, ne puisse être retenue pour l'exposé d'une méthode. C'était très simple, et, à la fin de cet émouvant appel à tous les sentiments altruistes, cela flamboyait sous vos yeux, lumineux et terrifiant, comme un éclair dans un ciel serein : « Exterminez toutes ces brutes ! » Le curieux est qu'il avait apparemment oublié l'existence de ce précieux post-scriptum, puisque plus tard, lorsqu'en un sens il revint à lui, il m'implora de façon répétée de prendre grand soin de « ma brochure » (c'est ainsi qu'il l'appelait), qui ne pouvait manquer d'avoir à l'avenir une heureuse influence sur sa carrière. J'étais en possession de renseignements complets à propos de tout cela, et en outre, comme les choses tournèrent, je devais avoir le soin de veiller sur sa mémoire. J'en ai assez fait à cet égard pour avoir acquis le droit incontestable de la déposer, si j'en décide ainsi, afin qu'elle goûte un repos éternel dans les poubelles du progrès, parmi toutes les balayures et, au figuré, tous les chats crevés de la civilisation.

Au Cœur des Ténèbres – Joseph Conrad


Une brusque recrudescence de ténèbres renforça la nuit, tombant devant leurs yeux comme quelque chose de palpable. On eût dit l'extinction de toutes les lumières voilées de ce monde. Jukes était content, indiscutablement, de sentir à côté de lui son capitaine. Cela le soulageait, tout comme si cet homme, simplement, en s'amenant sur le pont, avait pris le plus lourd de la tempête sur ces épaules. Tel est le prestige, le privilège et le poids du commandement. Mais le capitaine Mac Whirr, lui, ne pouvait espérer de personne sur terre un soulagement analogue. Tel est l'isolement du commandement.

Typhon – Joseph Conrad
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Message  Manny Mer 30 Avr 2014 - 21:37

Conrad a une plume du tonnerre. Il est très fort ce premier extrait et assez représentatif de ce que peuvent être des livres destinés à laver le cerveau bien comme il faut (bien que je n'ai jamais lu - et ne lirait sûrement pas, Mein Kampf)

Dans Typhon, j'ai beaucoup aimé le passage avec la lettre adressée à la femme du capitaine, ainsi que ceux où le lecteur est aussi paumé que les personnages quant à savoir qui est passé par dessus bord (soit, la majeur partie du livre  rire ).
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Message  Nicomurgia Dim 4 Mai 2014 - 3:24

Puisque je viens de la mettre sur Facebook, je me suis dit que je pourrais mettre cette citation ici aussi. C'est une citation d'Un amour de Swann de Proust. J'avais déjà lu le début de ce roman au début de mes études mais la phrase ne m'avait pas frappé. Maintenant que j'ai un peu plus de recul, je m'aperçois qu'elle est magnifique. Peut-être aussi parce qu'en ce moment elle me parle particulièrement...

"De tous les modes de production de l'amour, de tous les agents de dissémination du mal sacré, il est bien l'un des plus efficaces, ce grand souffle d'agitation qui parfois passe sur nous. Alors l'être avec qui nous nous plaisons à ce moment-là, le sort en est jeté, c'est lui que nous aimerons. Il n'est même plus besoin qu'il nous plût jusque-là plus ou même autant que d'autres. Ce qu'il fallait c'est que notre goût pour lui devînt exclusif. Et cette condition-là est réalisée quand - à ce moment où il nous fait défaut - à la recherche des plaisirs que son agrément nous donnait, s'est brusquement substitué en nous un besoin anxieux, qui a pour objet cet être même, un besoin absurde, que les lois de ce monde rendent impossible à satisfaire et difficile à guérir - le besoin insensé et douloureux de le posséder."
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Message  Manny Mer 28 Mai 2014 - 18:58

Deux passages de Sherlock Holmes, "Le chien des Baskerville", que je viens de finir récemment. Dans le premier extrait, Watson et le baronnet Henry Baskerville (l'héritier de la famille menacé) se rendent sur la lande autour de la propriété de Baskerville Hall:

" "- Dites, Watson, que dirait Holmes ? Nous en sommes à cette heure d'obscurité où s'exaltent les Puissances du Mal..."
Comme pour répondre à sa phrase, de la sinistre nuit de la lande s'éleva soudain ce cri étrange que j'avais entendu aux abords du grand bourbier de Grimpen. Le vent le porta à travers le silence nocturne : ce fut d'abord un murmure long, grave; puis un hurlement qui prit de l'ampleur avant de retomber dans le gémissement maussade où il s'éteignit. A nouveau il retentit, et tout l'air résonna de ses pulsations : strident, sauvage, menaçant. Le baronnet saisit ma manche, son visage livide se détacha de la pénombre.
"Grands dieux, Watson, qu'est cela ?
- Je ne sais pas. C'est un bruit qu'on n'entend que sur la lande. Je l'ai déjà entendu une fois." Un silence absolu, oppressant lui succéda. Nous nous étions immobilisés, l'oreille aux aguets. Rien n'apparut.
"Watson, me chuchota le baronnet, c'était l'aboiement d'un chien."
"

Sherlock Holmes, le chien des Baskerville, Arthur Conan Doyle.


Deuxième extrait, le face à face avec le fameux chien, malédiction de la famille Baskerville:

"C'était un chien, un chien énorme, noir comme du charbon, mais un chien comme jamais n'en avaient vu des yeux de mortel. Du feu s'échappait de sa gueule ouverte; ses yeux jetaient de la braise; son museau, ses pattes s'enveloppaient de traînées de flammes. Jamais aucun rêve délirant d'un cerveau dérangé ne créa vision plus sauvage, plus fantastique, plus infernale que cette bête qui dévalait du brouillard"

Sherlock Holmes, le chien des Baskerville, Arthur Conan Doyle.
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Message  Manny Dim 10 Aoû 2014 - 14:44

J'ai dévoré récemment Le voyage dans le passé de Stefan Zweig et un passage m'a particulièrement captivé. Zweig écrit des romances très torturés et celle de cette nouvelle n'est pas épargnée, il y'a très peu de passages où l'amour entre deux personnages est évoqué clairement, mais quand il y'en a, il est décrit avec force et passion.
Dans cette nouvelle, Ludwig est un jeune homme plutôt pauvre mais ambitieux, souhaitant à tout pris faire ses preuves et sortir de sa classe sociale. Il parvient à se faire embaucher chez un industriel et devient son secrétaire personnel. Emménageant chez son patron, il rencontre son épouse, l'attirance entre les deux êtres est palpable. Dans cette extrait, Ludwig annonce à cette femme, aimée en secret, que son patron l'envoie au Mexique pour une durée de deux ans. Voici la réaction à cette annonce:


" Son effroi sortit du fond d'elle-même, chaud comme un coup de feu, plus un cri qu'un mot. Et dans un geste de défense involontaire, elle écarta les mains. C'est en vain, au cours des secondes qui suivirent, qu'elle essaya de nier le sentiment qui lui avait échappé ; déjà (comment y était-il parvenu ?) ses mains, jetées en avant par une angoisse passionnée, étaient dans les siennes ; avant qu'ils ne le réalisent, leurs deux corps tremblants s'enflammèrent, et, d'un baiser infini, ils étanchèrent les heures et les jours innombrables de soif et de désirs inavoués.
Ce n'est pas lui qui l'avait tiré à lui, ni elle à elle, ils étaient tombés l'un dans l'autre, comme emportés ensemble par une tempête, sombrant enlacés dans un inconnu insondable, et leur chute était un évanouissement à la fois doux et brûlant - un sentiment trop longtemps refréné se déchargea, enflammé par le magnétisme du hasard, en une seule seconde. Et ce n'est que peu à peu, lorsque leurs lèvres collées se détachèrent, encore chancelant d'incertitude, qu'il plongea dans ses yeux, des yeux d'une lueur étrangère voilée d'une tendre obscurité. Et ce n'est qu'à cet instant qu'il fut happé par le courant de l'évidence ; cette femme, la bien-aimée, devait être amoureuse de lui depuis longtemps déjà, depuis des semaines, des mois, des années, le taisant délicatement, brûlante comme une mère, avant qu'une telle heure ne lui eût transpercé l'âme. Et cela précisément, ce fait incroyable, devenait maintenant une ivresse : lui, lui, aimé, et aimé d'elle, l'inaccessible - un azur infini s'étirait, zébré de lumière, zénith radieux de sa vie, qui pourtant se délita en éclats tranchants la seconde d'après. En effet, cette épiphanie était aussi un adieu.
"

Le voyage dans le passé, Stefan Zweig.
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Message  Tiphaine Ven 5 Sep 2014 - 20:43

Contexte : Au beau milieu de l'océan, un capitaine mourant avoue à son second :

"Si je pouvais faire à mon gré, ni le navire ni aucun d'entre vous n'atteindrait jamais un port. Et j'espère que vous n'y parviendrez pas."

La Ligne d'ombre - Joseph Conrad
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Message  Tiphaine Sam 6 Sep 2014 - 11:47

Quelques extraits de La Ligne d'ombre de Joseph Conrad :


Les dix-huit mois précédents, si remplis d'expériences nouvelles et variées, m'apparaissaient comme un lugubre désert de journées prosaïques. Il me semblait - comment exprimer cela ? - qu'il n'y avait aucune vérité à en extraire. Quelle vérité ? J'aurais été bien en peine de l'expliquer. Sans doute, pressé de questions, aurais-je simplement fondu en larmes. J'étais assez jeune pour cela.


Après le coucher du soleil je montais sur le pont pour ne trouver qu'un vide immobile. On ne pouvait distinguer la croûte mince et sans relief de la côte. L'obscurité s'était élevée autour du navire comme une mystérieuse émanation des eaux muettes et solitaires. Je me penchais sur le garde-corps et tendit l'oreille aux ombres de la nuit. Pas un bruit. Mon navire eut pu être une planète suivant, vertigineuse, sa trajectoire obligée dans un espace de silence infini. J'agrippais le garde-corps comme si mon sens de l'équilibre m'abandonnait pour de bon. Je hélais nerveusement : "Oh, du pont !" La réponse immédiate, "Oui, capitaine", rompit le sortilège.


"Aha ! Satanés bonshommes ! Vous avez retrouvé votre langue, hein ? Je vous croyais tous muets. Bon, eh bien alors - riez ! Riez - je vous dis. Allons-y maintenant - tous ensemble. Un, deux, trois - riez !"
Un moment de silence suivit, d'un silence si profond qu'on aurait entendu tomber une épingle sur le pont. Puis la voix impassible de Ransome prononça d'un ton plaisant : "Je crois qu'il s'est évanouit, capitaine."



Ses yeux parcouraient tout le navire. "Grands dieux ! Qu'est-ce que c'est que ça ?
- Ça, dis-je en regardant vers l'arrière, c'est M. Burns, mon second.



Il me semble que toute ma vie avant ce jour capital est infiniment lointaine, souvenir estompé d'une jeunesse au cœur léger, de quelque chose qui se cache de l'autre côté d'une ombre.
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Message  Antoine Sam 6 Sep 2014 - 15:43

Pour ma part, je viens de retrouver ce magnifique texte d'Aldous Huxley. Écrit dans les années 1930, il n'a jamais été autant d'actualité. Orwell prévoyait un monde de surveillance massive et de propagande outrancière : si certains aspects tendent à apparaître, c'est quand même la vision de Huxley, avec ses conditionnements discrets et un jeu plus subtil sur les mentalités, qui est clairement en train de se réaliser, si elle ne l'est pas déjà. À lire et à méditer... Je mets en gras ce qui me semble le plus actuel...

Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes. L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées.

Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif. Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser.

On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté.

Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur. L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu.

Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. On observe cependant qu’il est très facile de corrompre un individu subversif : il suffit de lui proposer de l’argent et du pouvoir.
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