La troisième classe moins reluisante des autres navires

Tout le monde est d'accord : la troisième classe du Titanic était en 1912 ce qui se faisait de mieux pour des migrants. Cabines individuelles, salle à manger, salons... À vrai dire, déjà en 1889 avec le Teutonic, la troisième classe des plus gros navires de la White Star était de top qualité. Mais sur les navires bas de gamme, qu'en était-il ? Quand j'ai fait ma thèse, je suis tombé sur cet article du journaliste Kellogg Durland qui, en 1907, a fait le voyage de Naples à New York sur un navire de la White Star. De quel navire pouvait-il s'agir ? Mystère. À cette époque, la ligne était principalement desservie par le Romanic, le Cretic, le Canopic et le Republic. Attention, c'est sale. Il parle notamment des repas :

"Le navire sur lequel je suis revenu de Naples était un vapeur de la White Star. J'ai payé 36$ pour mon billet. Il n'y avait pas de salle à manger du tout, et nous devions laver nos propres assiettes (qui étaient en étain) et absolument rien ne nous était fourni pour ça à part un tonneau d'eau de mer froide ! Parfois, j'ai tenté de gratter avec les ongles les macaronis gras pour les extraire de mon assiette. Quelques fois j'ai été assez chanceux pour trouver un bout de journal à utiliser comme torchon. Quand nous avons embarqué nous avons trouvé notre "matériel" (comme ils appellent nos assiettes) sur nos couchettes. Le "matériel" de chaque passager consistait en une casserole en étain, une louche, une cuillère et une fourchette. Rien d'autre. Pas même un couteau. Chaque passager devait garder son "matériel" pendant le voyage, et en avait la pleine responsabilité."


Le Cretic

Ailleurs, il explique que les passagers se divisaient en petits groupes de six à huit, et choisissaient un chef chargé d'aller chercher les repas. Après quoi ils mangeaient où ils pouvaient (sur le pont, dans leur couchette...), puisqu'aucune table ne leur était fournie pour ça ! Quant à l'hygiène, voyez plutôt :

"La nourriture était servie depuis la cuisine par deux stewards italiens. Quand mon tour est venu de la recevoir, j'ai dû me préparer considérablement. Le premier steward était un italien d'âge moyen, sale, dans une chemise dégoutante. Une main souillée de toutes sortes de crasse (crasse du navire, crasse de cuisine, crasse humaine) a sorti un grand "épi" ou biscuit d'un sac de toile et me l'a tendu. Il a ensuite attrapé un godet d'étain et l'a rempli de gros vin rouge. En me le tendant il s'est mouché... dans la main avec laquelle il venait de prendre mon biscuit !"

Dans sa nourriture, il raconte avoir trouvé des vers, insectes et même une épingle à cheveux ! Quant à l'hygiène personnelle, il explique avoir dû en moyenne attendre 30 minutes quand il devait utiliser une bassine, et a souvent renoncé à se laver à cause de ça. Bref, bon appétit bien sûr !

Pour le journaliste, la White Star tolérait ça car sa clientèle, sur ces navires, ne parlait pas anglais et n'était donc pas en mesure de trop se plaindre... Durland, américain, militait pour une amélioration des conditions de voyage des migrants, qui était un thème de plus en plus fréquent dans la presse de l'autre côté de l'Atlantique. D'autant que les Américains n'avaient pas de grosse compagnies maritimes alors leur législation ne risquait pas de les pénaliser ! Les patrons de compagnies voyaient les choses d'un moins bon œil... Bref, pas facile d'aller vivre aux États-Unis !

Et ben ! Les conditions dans lesquelles on les maintenait étaient sordides.   Je comprends maintenant tout le bien évoqué de la 3ème classe du Titanic alors qu'on pourrait penser aujourd'hui que c'était encore limite. Heureusement que le traitement des passagers s'est grandement amélioré.

Doux Jésus je m'attendais pas à ça

Je suis justement en train de finir Le Titanic Vérités et légendes et les descriptions des conditions de vie et des repas en troisième classe sont à l'opposé total de ce que décrit Kellogg Durland. Je suis du coup curieuse maintenant quant aux autres témoignages ou exemples des conditions des troisièmes classes dans des navires bas de gamme ? Aurais-tu d'autres exemple ?
D'ailleurs je suis en train de me demander qu'en était-il pour les autres navires comme le Teutonic, le Mauretania, Le Provence ou L'Olympic ? Parce que si on sait que les troisièmes classes du Titanic possédaient un luxe dernier cri, je me demande ce que proposaient les autres navires ? Dans le très bon comme le très mauvais mais qui a surtout valu que le Titanic soit considéré comme celui proposant le mieux pour les passagers de 3e et les migrants ?

Alors si le sujet t'intéresse, tu peux trouver ici un lien vers le PDF de ma thèse : http://archive.bu.univ-nantes.fr/pollux/show.action?id=6cd2dae1-5a20-4c4f-9c4e-7190f68eae94. La partie 3.1 est consacrée à l'immigration, et les conditions de vie sont pas mal détaillées à partir de la page 317. Globalement, oui, le Titanic était largement ce qui se faisait mieux. Des articles sur la 3e classe, on en a pas mal, souvent de journalistes "infiltrés" : certains n'ont même pas fini le voyage. Tu en trouveras des extraits dans mon chapitre sur le sujet, avec quelques références pour trouver les versions intégrales si ça t'intéresse.

Clairement, sur les paquebots français, on en était encore au stade des dortoirs où on dort et mange à une vingtaine si on a de la chance, une centaine voire plus si c'est pas de bol. Seul le France de 1912 se distinguait un peu avec pas mal de cabines de troisième classe. En fait, en 1912, la Transat offrait un confort juste équivalent à ce qui se trouvait sur le Teutonic et le Majestic en 1890 !

Bref, tout dépendait des lignes, de l'âge du navire... Mais le pire était quand même plus à craindre que le meilleur !

Merci beaucoup pour toutes ces informations. Je vais lire dès que je peux ta thèse avec intérêt parce que ça m'intéresse beaucoup.
Est-ce que tu sais pourquoi les paquebots français avaient du retard en 1912 dans le confort de leur troisième classe par rapport à des paquebots de la White Star ou de la Cunard ?

Je pense que la principale raison est que la France était assez limitée côté transport de migrants par deux facteurs : déjà, ils étaient moins nombreux à passer par ses ports (Anvers pompait une partie de la clientèle venue d'Europe centrale et du sud ; les Anglais étaient implantés en Italie et recevaient aussi les flux scandinaves...) et surtout, la taille des paquebots était limitée par celle du port du Havre. Il a fallu attendre les grands travaux des années 1930 pour le Normandie pour que celui-ci devienne vraiment pratique. Du coup, moins de place, donc besoin de faire des économies d'espace, d'où les grands dortoirs plutôt que les cabines, et l'absence également d'espaces communs. La priorité était donnée à la première classe qui, elle, avait par contre peut-être plus de confort que chez les britanniques. Par exemple, sur La Lorraine en 1900, les enfants de 1ère classe avaient une salle à manger à eux, alors qu'en 3e, on mangeait dans les dortoirs ! Douze ans plus tard, sur le Titanic, rien n'était prévu pour les enfants.

Et puis je pense qu'il y avait un certain cynisme aussi de la part de la compagnie : autant les passagers de première classe sont des gens qu'il faut attirer, autant les migrants, on en trouve toujours pour vaguement remplir les dortoirs, ils ne sont pas forcément très regardants sur le navire pris (et parfois, ils sollicitent des agences qui les choisissent pour eux). Puis le migrant est un client qui ne revient généralement pas, donc peu importe qu'il soit satisfait. C'est aussi pour ça, je pense, que les navires comme le Titanic avaient une bonne troisième classe : ils essayaient aussi d'attirer des gens revenant d'Amérique, donc un peu plus aisés. Il faut dire que, pour la troisième classe, les traversées dans le sens ouest-est se faisaient souvent presque à vide...