Le naufrage du Titanic, complot Illuminati et etc.

Mais à ton avis, à quoi est due cette conception du "donnez votre avis sur tout" ? Elle ne date pas de la télé ou d'internet. Cette année, pour l'agrégation, j'ai dû lire le Temps retrouvé de Proust (1927), et il y a ce moment où le narrateur reprend un personnage sur un mot qu'il prononce mal. Je n'ai plus le mot en question ni le nom du personnage, désolé. Mais toujours est-il que le personnage s'insurge face au narrateur parce qu' "en vertu des lois de 1789" chacun est libre de prononcer un mot comme il l'entend. Il y a autant d'avis sur la prononciation d'un mot donné qu'il y a d'hommes, bref, tout se vaut. Bien sûr, dans le roman, le narrateur ironise sur la bêtise de son interlocuteur, parce qu'évidemment, il n'y a qu'une manière de prononcer les mots en vertu des lois phonétiques du français. A mes yeux, cette culture du "donnez votre avis sur tout" qui a effectivement émergé de manière significative depuis l'avènement d'internet n'aurait pu voir le jour sans l'émergence de la démocratie qui a permis à chacun de se sentir le droit d'avoir une opinion sur les affaires politiques pour lesquelles il n'a pas toutes les clés en main, et par la suite sur tout. La démocratie a posé des bases, des jalons en fait. Après ça ne veut surtout pas dire que je suis contre la démocratie, faut pas me faire dire ce que je ne dis pas. Je dis juste : "prudence avec ça".

Sinon la vidéo est juste super !

Ah, là dessus, je suis tout à fait d'accord avec toi. La démocratie, c'est la possibilité de donner son avis, encore faut-il ensuite s'en donner les moyens. Après, le problème, c'est que ça pose la question de l'éducation : choisir qui est assez bien éduqué pour donner son avis peut très vite dériver vers choisir quels avis peuvent être donnés. Et le problème était encore plus grand à la Révolution comme le peuple n'avait quasi aucune éducation. Bon, en 1789, en soi, pas de souci, jusqu'à 92, le suffrage restait censitaire et donc réservé aux riches éduqués. Mais quand il a commencé à être question de suffrage universel, la question de l'éducation s'est posée, et continue aujourd'hui encore à se poser d'ailleurs. Entre les partisans d'une éducation minimale/de mauvaise qualité pour les couches populaires, ainsi plus malléables (ce qui a marché tout le XIXe siècle, et continue dans une certaine mesure) et, au contraire, ceux qui auraient préféré une éducation totalement régie par l’État pour donner des moyens égaux à tous... au détriment de la liberté de choisir son enseignement. Un débat qui, aujourd'hui encore, n'est pas tranché ; et peut-être pas tranchable ?

Il ne faut pas perdre de vue que les partisans des toutes les théories du complot, à la mode Illuminati ou autre, sont une infime minorité. La plupart sont plus mesurés, croit en certaines théories mais pas d'autres, mais sont rarement sur à 100 % de ce qu'ils avancent. Le fait est que comme tu l'as dis, Nico, il est facile de les contredire et de démontrer l'inverse. Alors pas de quoi s’inquiéter, chacun peut donner son avis et chacun doit continuer de le faire, car se confronter au débat permet de faire murir tous les points de vue. Regardez le topic sur le 11 septembre de ce forum : les gens défendent divers points de vue, mais entre les illuminés dont tout le monde rigole, et les partisans de certaines théories de bonne foi qui admettrons vite qu'en effet rien n'est moins sur, où est le problème ?

Je suis d'accord sur la culpabilité des médias. A chaque fois qu'une personne a défendu les théories du complot dans ces médias (je pense par exemple à Meyssan ou Jean-Marie Bigard), il n'y avais bien souvent personne pour les contredire, alors qu'ils racontaient des énormités aussi grosses que le capitaine du Titanic partant en sous-marin. La seule réaction de ses médias sera de demander à ces personnes de ne plus en parler, sous peine d'être banni d'antenne. Et jamais aucun débat de fond n'aura été engagé. Bien sur, le téléspectateur lambda peut raisonnablement penser qu'on lui cache quelque chose, et les médias traditionnels ont fait pousser les germes des idées qui se sont ensuite développées sur internet. Mais c'est d'internet que vient aussi la solution, car c'est le seul endroit où l'on peut réellement réfuter ses thèses.

Guillaume70 a écrit:IAlors pas de quoi s’inquiéter, chacun peut donner son avis et chacun doit continuer de le faire, car se confronter au débat permet de faire murir tous les points de vue.

Oui, mais justement : je trouve pas forcément judicieux de s'encourager mutuellement à avoir un point de vue sur tout tout le temps. Si je te donne mon point de vue sur l'économie du Paraguay, la politique extérieure du Malawi ou les causes du crash de la navette Challenger, tu pourras, si tu le veux, trouver tout ça intéressant, mais tu auras tort. Car dans la mesure où je ne me suis documenté sur aucun de ces sujets, mon point de vue n'aura strictement aucun intérêt. À l'inverse, si tu me demandes mon avis sur le naufrage du Titanic, la Révolution française ou les voisins bruyants, il s'agit de sujets que j'ai étudiés, que je maîtrise et sur lesquels mon avis sera pertinent.

Ce que je veux dire, c'est que non, tous les avis ne se valent pas. Des avis différents ne peuvent s'opposer que si les deux personnes sont toutes deux compétentes pour le donner. Je ne parle pas ici de diplômes mais de travail en amont. Si je n'ai jamais lu le moindre livre sur le Titanic, logiquement, je serai moins capable d'avoir un avis précis sur les causes de son naufrage que quelqu'un qui bosse sur le sujet depuis 20 ans. L'avis de la personne n'ayant rien lu ne sera pas pertinent. Si deux personnes ayant bossé de longue date sur le sujet s'opposent sur un point, là, en revanche, le débat devient enrichissant.

Mais ce que je regrette, c'est qu'on refuse de plus en plus de dire "je ne suis pas compétent pour donner mon avis sur cette question" (moi compris, hein !) alors qu'il n'y a rien de honteux à ne pas avoir d'avis. Le problème, c'est que plus le temps passe, et plus on nous apprend à penser de façon simpliste, apporter des réponses simples à un problème compliqué. Pour les médias, par exemple, le naufrage du Titanic ne peut pas résulter de X000 facteurs. Non, il en faut un. Donc ils ressortiront régulièrement le scoop des jumelles perdues ou des rivets pourris, causes uniques du naufrage. Effectivement, si tout était si simple, il serait facile d'avoir un avis sur tout. Ce n'est pas le cas, et parfois, prendre de la distance pour réfléchir plutôt que l'ouvrir tout de suite, c'est pas si con.

Après, je te plussoie néanmoins : il ne faut pas pour autant faire taire ceux qui disent des conneries par manque de recherches. Selon moi, ils devraient se taire d'eux-mêmes (quand ils sont de bonne foi). Lorsqu'ils ont décidé de dire leurs conneries, oui, il est important de les réfuter méthodiquement plutôt que de leur dire "bouh, pas bien, vilain". Malheureusement, là aussi, c'est ce deuxième réflexe que les médias et les politiciens essaient de généraliser...