Manichéisme

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Message  Canard-jaune Lun 8 Déc 2014 - 2:42

Wikipédia a écrit:Le manichéisme est, dans son acception contemporaine, au sens figuré et littéraire, une attitude consistant à simplifier les rapports du monde, ramenés à une simple opposition du bien et du mal [...] qui transforme toute distinction en opposition et ramène systématiquement la complexité du réel à deux termes qui s'excluent, en recourant à des stéréotypes.

Je ne sais pas si j'extrapole, si je vois des choses qui n'existent pas, si je divague... Mais pour moi, notre film favori respecte cette définition à la lettre. Au fur et à mesure de mes visionnages, j'ai remarqué l'existence de deux "clans" opposés, les riches et les pauvres. Le premier est constitué de la majorité des passagers de Première Classe, et de l'équipage du navire. Le deuxième, lui, est constitué des "exceptions" parmi les passagers de Première Classe, ainsi que les passagers de Troisième Classe. Le premier clan se retrouve affublé de nombreux défauts : suffisance, idiotie, égoïsme, violence ; tandis que le deuxième est tel l'enfant venant de naître, dénué de vice, et inspirant immédiatement la compassion. De manière générale, le premier camp va contrer l'histoire d'amour de Rose et Jack, tandis que le deuxième va y apporter une certaine contribution.

Pour les riches, voilà qui s'y trouve :
- Caledon Hockley, bien évidemment. Immensément riche, il considère Rose comme sa propriété et croit pouvoir l'acheter avec un collier. Il est prêt à tout pour parvenir à ses fins, et ne recule pas devant les moyens jugés immoraux, à savoir faire surveiller sa fiancée, faire accuser Jack de vol, et même tenter de les abattre par arme à feu. Il n'hésite pas non plus à se montrer violent : quand il secoue Jack comme un prunier après qu'il ait sauvé Rose, quand il gifle Rose, quand il la retient avec force de s'éloigner du canot où se trouve sa mère... Il faut aussi noter qu'il tente de corrompre un officier pour avoir une place dans un canot de sauvetage. Après ça, il n'hésite pas à kidnapper une enfant perdue de Troisième Classe pour avoir accès à un canot ; mais quand ce canot commence à basculer, il fait contrepoids pour l'empêcher de couler sans s'émouvoir de tous ses occupants qu'il envoie à l'eau. N'oublions pas la scène coupée où il tue Fabrizio en lui fracassant le crâne avec une rame pour l'empêcher de grimper dans le canot...
- Spicer Lovejoy, à la solde du précédent. Allégorie du flic sans âme, la fin justifie pour lui les moyens. Ainsi, il n'hésite pas à faire le sale boulot pour son patron, à savoir fliquer sa fiancée, mais aussi agresser Jack lorsqu'il est menotté ou durant la bagarre de la Salle à Manger. Il est motivé par l'appât du gain, d'abord le salaire de son employeur, puis le collier qu'il a le droit de garder pour lui si il parvient à le récupérer. Bien évidemment, c'est lui qui hérite de la mort la plus violente...
- Ruth Dewitt Bukater, la mère vénale. Le regard froid, la main ferme, elle compte "vendre" sa fille à Caledon afin de renflouer la fortune familiale. Ainsi, elle voit Jack d'un très mauvais œil, et fait tout pour empêcher qu'il revoit sa fille, y compris le plus odieux des chantages... Elle n'hésitera d'ailleurs pas à griller l'alibi de Jack au cours du dîner en Première Classe, en l'humiliant sur le fait qu'il dorme à l'entrepont parmi les rats ou sur son mode de vie "détaché". Dans son canot, elle se bouche les oreilles pour ne pas entendre les appels au secours des naufragés en train de se noyer.
- Bruce Ismay, le patron bête et lâche. Limite présenté comme un nazi dans le film (James Cameron l'adooooore), sa fortune ne peut combler son manque de culture (il ignore qui est Freud), et il est présenté comme étant l'instigateur de la catastrophe, puisqu'il pousse le Capitaine Smith à augmenter la vitesse du navire malgré la traversée à venir d'une zone de glaces (ce qui est entièrement faux si on se fie à la réalité des faits). Après la collision, il révèle une fois de plus son idiotie et son arrogance en demandant quand le paquebot va redémarrer, alors que le naufrage peut déjà se deviner. Après ça, il perturbera le travail des officiers en voulant précipiter le chargement des canots (scène coupée), avant de grimper lâchement dans l'un d'entre eux à la barbe de l'Officier Murdoch, qui lui lance à l'occasion un regard de profond dégoût. Dans son canot, il refuse de regarder son navire condamné, et arrivé sur le Carpathia (scène coupée), sa traversée d'un pont rempli de passagers le chargeant d'un regard haineux s'apparente à un chemin de croix...
- John Jacob Astor, scandaleux et benêt. Se remarie avec une demoiselle tout juste majeure, de trente son aînée, et enceinte par-dessus le marché. Croit bêtement Jack quand il lui dit être issu d'une famille fortunée d'Amérique.
- Benjamin Guggenheim, mari volage. Fait le voyage avec sa maîtresse. Toutefois, a un comportement de gentleman lors du naufrage (même si ça m'étonnerait qu'il soit resté dans son fauteuil...).
- Edward Smith, capitaine soumis et dépassé par les événements. Malgré sa fière allure, il se laisse complètement dominer par Bruce Ismay (ce qui est, je le répète, entièrement faux), causant le naufrage. Lors de la préparation des canots, il ne fait strictement rien (ça aussi, c'est faux), et refuse même d'aider une passagère demandant son aide. On peut regretter la suppression de la scène où il rappelle les canots avec un mégaphone, qui aurait donné un côté moins "abandon de soi" du personnage. Après quoi, il s'enferme dans la timonerie et se laisse mourir.
- Henry Wilde, officier séparateur. Il écourte les derniers instants de Rose et Jack alors qu'elle est dans le canot, alors qu'ils se serraient une dernière fois la main. Ce n'est rien, mais c'est symbolique, il vient entraver leur relation.
- William Murdoch, officier corrompu et assassin. Se laisse acheter par Caledon Hockley, avant de se rétracter avec une certaine théâtralité. Hélas, juste après, il abat deux personnes avec son arme à feu, dont Tommy Ryan, ami de Troisième Classe de Rose et Jack. Par conséquent, il se suicide d'une balle dans la tête, laissant Wilde (c'est lui, non?) se débrouiller tout seul avec le canot (qui manquera de couler juste après).
- Charles Lightoller, officier trop prudent. Il ne laisse monter que les femmes et les enfants, condamnant les hommes. De plus, il fait partir les canots trop peu remplis, ce qui provoquera au final encore plus de victimes, comme lui fait aimablement remarquer Thomas Andrews.
- Harold Lowe, officier belliqueux. C'est le premier à se servir de son arme à feu, bien qu'il ne tue personne : mais les armes, c'est pas bien et c'est violent. Même s'il décide de revenir en arrière pour récupérer d'éventuels survivants, il tarde trop, causant de nombreuses morts qui auraient pu être évitées.
- Robert Hichens, quartier-maître ordurier. Se trouve à la barre lors de la collision. Refuse de retourner en arrière pour sauver les naufrages. Insulte copieusement Margaret Brown. Il ne lui manque que la moustache d'Ismay...
- Frederick Barrett, soutier délateur. C'est lui qui révèle aux stewards où se sont enfuis Rose et Jack, à savoir la cale où se trouve la voiture.
- Les Veilleurs Frederick Fleet et Reginald Lee. Ils plaisantent durant leur quart, et ne comprennent pas immédiatement la présence de l'iceberg... avec les conséquences que l'on connait.
- Les Stewards. Globalement, ceux-ci ont un rôle péjoratif : ce sont eux qui ramènent Jack en Troisième Classe lorsqu'il cherche à revoir Rose, qui tentent de retrouver Rose et Jack lors de leurs galipettes dans la voiture, qui enferment les passagers de Troisième Classe derrière les grilles, qui empêchent Rose d'aller au Pont E (ascenseur) puis de l'aider à décrocher Jack son tuyau (celui qui l'emmène dans le sens opposé), qui refusent d'ouvrir lesdites grilles quand Rose et Jack en ont besoin (au risque de les noyer)...

Pour les pauvres :
- Jack Dawson, beau gosse idéaliste et rêveur. Doit-on le présenter? C'est l'ange-gardien de Rose, son âme-soeur, son premier amour... et la Première Classe cherche à tout prix à l'arrêter/enfermer/poursuivre/tuer...
- Rose Dewitt Bukater, jeune jouvencelle ayant besoin d'être guidée. Sa mère a voulu qu'elle fasse des études de Droit se marie avec un homme riche pour renflouer la famille, mais... non... pas pour Rose. Rose est éprise de liberté. Rose veut vivre sa vie comme elle l'entend, sans personne pour la contraindre. Rose a un "feu" en elle, comme le rappelle Jack, et ce feu doit être assouvi par la poursuite de ses rêves : devenir actrice, monter à cheval, piloter un avion... Elle réussira finalement à se libérer de son "clan initial", après avoir brièvement tenté d'y rester suite au chantage de sa mère.
- Fabrizio De Rossi, italien rêveur et amoureux. Sans le sou, son rêve est d'aller en Amérique. Il s'y rendra. Au passage, il tombe amoureux d'Helga, jolie scandinave. Il la perd au cours du naufrage. De même qu'il perd (à cause de Caledon Hockley) la vie, et son rêve...
- Tommy Ryan, irlandais fier et patriote. Sans le sou lui aussi, il part tenter sa chance en Amérique, tout en enorgueillissant que le Titanic ait été bâti sur sa terre natale : quoi qu'en disent les riches hommes d'affaires de Londres, le Titanic est irlandais! Ironie du sort, c'est un Anglais qui le tue, l'Officier Murdoch, avec qui il venait d'avoir un échange verbal assez tendu. Il ne tenait d'ailleurs pas l'équipage en haute-estime, relevant le fait qu'ils promènent les chiens en Troisième Classe pour qu'ils y fassent leurs besoins, ou s'opposant violemment aux stewards enfermant ses confrères derrière les grilles. Il a aussi notifié ses compagnons du fait que les riches appréciaient de se noyer en musique...
- Thomas Andrews, architecte de talent et de grande sympathie. Bien qu'il soit en Première Classe et qu'il ait construit le navire qui va tuer tout le monde, il jouit d'une image positive. En effet, il s'agit d'un homme fort ouvert et sympathique, qui a l'air de se moquer de la condition de son interlocuteur : il salue Jack même s'il est habillé en "pauvre". Durant le naufrage, il semble d'abord quelque peu assommé, avant de prendre une participation active dans l'évacuation des passagers. Il ne ment pas à Rose quant au naufrage, et ne s'oppose pas à son projet d'aller sauver Jack. Ses derniers moments, emplis de regrets, sont un grand moment d'émotion : sa dernière tâche est de mettre l'horloge du Fumoir à l'heure. Perfectionniste jusqu'au bout.
- Margaret Brown, riche de porte-monnaie et de coeur. Le fait que la mère de Rose ne l'aime car elle fait partie des "Nouveaux-Riches" suffit à résumer sa place dans ce clan. C'est la seule passagère de Première Classe à vraiment apprécier Jack, qu'elle aide d'ailleurs en lui prêtant un smoking de son fils (forte valeur sentimentale et financière). Comme Jack, elle a été pauvre, avant... Elle est aussi fortement rudoyée par Hichens.
- Cora Cartmell, la petite fille innocente. Représentative de tous les enfants de Troisième Classe, elle est adorable et est fort attachée à Jack. Hélas, ses parents et elle-même se noient derrière une grille (scène coupée) lors du naufrage : elle avait encore sa poupée dans les bras... À rapprocher de la Maman de Troisième Classe qui lit une histoire à ses deux enfants pour qu'ils s'endorment en paix.
- Helga Dahl, jeune Norvégienne amourachée. L'âme-soeur de Fabrizio est, comme de nombreux autres passagers de Troisième Classe, prisonnière des grilles. Une scène coupée très touchante montre Fabrizio la suppliant de venir avec lui, mais ses parents refusent et lui ordonnent de rester. Quand elle parvient en haut avec eux, il est trop tard et les canots sont tous partis : il leur faut alors gagner la poupe. Ils seront victime de l'inclinaison du navire, Helga étant la dernière lâcher pour s'écraser en contrebas de la poupe, après un terrible hurlement.
- L'Orchestre. Des héros. Rien à ajouter.

Voilà mon "melting-pot" listé. Qu'en pensez-vous? Voyez-vous d'autres rôles manichéens? Ou voyez-vous des erreurs, ou trop de capillotractage? pou
(j'aurais pu mettre les Duff Gordon en clan 1 et les Opérateurs Radio en clan 2, mais on ne les voit pas assez dans le film pour les ranger dedans)


Dernière édition par Canard-jaune le Lun 8 Déc 2014 - 3:41, édité 1 fois
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Message  Antoine Lun 8 Déc 2014 - 2:56

Que Titanic soit un film manichéen, c'est un fait, clair et net. Il faut dire que c'est les recettes dont Hollywood est assez friand. L'adaptation du Seigneur des Anneaux par Peter Jackson en est d'ailleurs un symbole car beaucoup de personnages ont été lissés par rapport au livre. A chaque fois, le but est le même, toucher un plus large public avec des schémas éprouvés. En l'occurence, l'histoire de Jack et Rose est une histoire mille fois racontée, parfois très bien, parfois de façon catastrophique. L'Odieux connard avait d'ailleurs souligné dans un de ses spoils à quel point le schéma des films de Cameron se reproduit pas mal. Donc oui, une histoire très manichéenne, même s'il est toujours possible ensuite pour le réalisateur (ou le spectateur ardent défenseur) de justifier ces choix : "Mais Cal n'est pas méchant, juste un homme perdu etc. etc." ; on peut en effet toujours extrapoler... Mais ce n'est pas ce qui nous est montré à l'écran.

Après, je pousserais pas forcément ton analyse jusqu'à la façon dont les officiers sont dépeints : globalement, leur portrait est plutôt favorable (en témoignent les nombreux "officers fans" créés par le film rire ) même si on peut toujours chipoter. Là, il me semble clairement qu'on franchit la limite qui consiste à tordre un peu les choses pour les faire rentrer dans un raisonnement déjà bien établi. Mais pour le reste, ta répartition me semble bonne.

Après, est-il nécessaire d'avoir des méchants toujours méchants et des gentils toujours gentils pour avoir du succès au cinéma ? Le spectateur est-il trop stupide pour comprendre une histoire sortant des schémas manichéens ? J'aurais tendance à répondre qu'il ne faut pas prendre le spectateur pour plus con qu'il n'est, et qu'un des plus gros succès cinématographiques de tous les temps est une double trilogie dont le "méchant" emblématique et casqué de noir est loin d'être un personnage monolithique et démoniaque. Mais George Lucas avait posé les bases de son histoire dans les années 1970 : peut-être le spectateur moyen est-il, depuis, devenu trop con pour saisir ces subtilités et a besoin qu'on lui montre clairement qui est le méchant, et qui est le gentil. Dommage... D'autant que le message peut-être assez dangereux.
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Message  Canard-jaune Lun 8 Déc 2014 - 3:07

Effectivement, pour les Officiers, j'ai hésité (sauf pour Murdoch)... mais je ne me voyais pas trop les mettre dans les "gentils", ni faire une catégorie "un peu des deux". rire Merci, néanmoins, je partage ton avis qu'ils sont pas trop mal traités (sauf... Murdoch²).
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Message  Laueee Lun 8 Déc 2014 - 7:38

Je suis bien d'accord avec toi. J'adore ce film quand même. Toujours aussi plaisant à regarder.

Une seule chose à dire... Murdoch est Écossais. Il n'est pas Anglais. ^^ En parlant de lui, il est vraiment maltraité dans ce film... N'empêche qu'il est un de mes personnages préférés.
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Message  Canard-jaune Lun 8 Déc 2014 - 9:30

xLadyPendragon a écrit:Je suis bien d'accord avec toi. J'adore ce film quand même. Toujours aussi plaisant à regarder.

Une seule chose à dire... Murdoch est Écossais. Il n'est pas Anglais. ^^ En parlant de lui, il est vraiment maltraité dans ce film... N'empêche qu'il est un de mes personnages préférés.

Le "salopard de British" en fait un Anglais! éclat
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Message  Historiapassionata Lun 8 Déc 2014 - 11:52

Oui mais Tom Tom peut pas tout deviner hein rire
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Message  Nicomurgia Lun 8 Déc 2014 - 23:50

Entièrement d'accord avec vos deux posts, Vincent et Antoine. Titanic est un film tout à fait manichéen, après moi, ça ne me dérange pas outre mesure, parce que déjà d'une je ne le regarde pas pour ça, je le regarde pour les reconstitutions, et ensuite, parce que je le sais, et je crois qu'avec le temps j'ai appris à m'en détacher. Mais il me semble que le manichéisme n'est plus dangereux dès lors qu'il est identifié, et qu'on apprend à voir que les films, a fortiori les films d'Hollywood c'est pas la vraie vie. On ne va pas non plus s'interdire de faire des films à l'eau de rose, sous prétexte qu'il y a des cons, non ! Ca fait du bien de temps en temps, des trucs cons et manichéens aussi... ça permet de décompresser, et en plus on apprécie mieux les bonnes choses ensuite ! rire Et sinon, pour répondre à ce que tu dis Antoine, je ne pense pas que le spectateur d'aujourd'hui soit plus con que celui des années 70, enfin peut-être que si quand même, je ne sais pas. Mais je pense surtout que le spectateur de 2014 ne veut pas se faire chier, point. Il veut pas réfléchir pendant 30 ans pour savoir qui blâmer ou qui louer. En soi, penser d'emblée qu'il y a effectivement quelqu'un à blâmer et quelqu'un à louer, c'est déjà s'enfoncer dans le manichéisme jusqu'à la taille, tu me diras...
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Message  Antoine Mar 9 Déc 2014 - 0:25

Deux points sur lesquels je ne suis pas d'accord avec toi, Nicolas. Ce qui n'est pas étonnant, car tu restes beaucoup plus bienveillant et plein d'espoir que moi vis-à-vis de nos contemporains rire Le fait qu'on soit là à écrire des pavés sur un film en le disséquant montre déjà qu'on est quand même des gens qui avons appris à raisonner, à réfléchir, tout ça. Ce n'est pas forcément, malheureusement, le cas du spectateur lambda, pour des raisons sur lesquelles je reviendrai. Donc oui, un truc manichéen est inoffensif quand on sait qu'il l'est. Malheureusement, de plus en plus de gens en arrivent à croire que dans la vraie vie, il y a aussi les gentils et les méchants, et que tout est forcément binaire, sans aucune nuance. Or, le monde n'est ni noir, ni blanc, c'est juste pas mal de teintes de gris. Du coup, malgré tout, je pense que l'omniprésence de ces films, qu'on voit d'ailleurs très tôt, nous éduque depuis tout petit à voir un monde qui se partage entre gentils et méchants, souvent sans subtilités. Et ça, je pense que c'est dangereux car seule une minorité est ensuite éduquée à dépasser ce clivage.

Ensuite, tu dis que le spectateur de 2014 n'est pas plus con que celui des années 1970, mais juste qu'il ne veut pas se faire chier à réfléchir. S'il n'est effectivement pas capable de réfléchir sans se faire chier, je pense qu'il est devenu con. Et là aussi, je crois qu'il y a un cheminement désastreux qui s'opère. Pendant longtemps, même les classes moins éduquées avaient pris goût à la réflexion. Les grands mouvements du XIXe et du XXe siècle, ils ont aussi été l'objet de gens qui, souvent, n'avaient eu que l'usine pour horizon et qui, malgré tout, on voulu se cultiver, s'élever au dessus de leur condition en réfléchissant. Aujourd'hui, le discours serait plutôt inverse : "rentre du boulot, pose toi devant la télé, éteins le cerveau devant Hanouna/Morandini ; de toute façon, t'es trop con pour réfléchir". Et on arrive à une situation où des gens intelligents rejettent systématiquement toute conversation un peu poussée au prétexte que "oh, non, moi je suis trop bête pour ça"/"c'est trop compliqué". Donc oui, à force de se faire répéter plus ou moins implicitement qu'il était con et avait besoin de trucs simples, le spectateur devient con.

Et pourtant, il continue quand on le lui propose à privilégier la qualité plus subtile. Bordel, Star Wars, c'est pas un film d'auteur à petit budget. Et pourtant, même dans les films sortis dans les années 2000, on était loin d'un format manichéen. A voir si Disney le fera rentrer dans le moule ! Les bouquins Harry Potter aussi : grand succès en librairie avant de l'être dans les salles. Et purée, même Voldemort, le méchant diabolique par excellence, on nous apprend à avoir pitié de lui en comprenant pourquoi il est devenu ce qu'il est devenu. Aspect qui, d'ailleurs, gicle du film. Les livres du Seigneur des anneaux : parmi les plus lus du XXe siècle, encore parmi les plus populaires soixante ans après leur sortie : là aussi, on est loin d'une histoire manichéenne. Et les gens adhèrent. Et même, si on veut aller plus loin, il suffit de regarder les productions vidéoludiques à grand succès comme Assassin's Creed (notamment le III) ou GTA : là aussi, le scénario ne laisse aucune place à une histoire manichéenne, et joue avec le joueur en remettant sans cesse en question qui est gentil, qui est méchant. Et là aussi, on parle pas de petits jeux, hein. Suffit de se plonger dans le scénario de GTA V pour voir qu'on est loin d'une histoire basique. Et on a là un des jeux les plus vendus de tous les temps !

Du coup, alors que les blockbusters cinématographiques deviennent de plus en plus moulés à la louche pour toucher le public le plus large possible, il faut se tourner vers les jeux vidéos pour trouver plus d'audace dans les grosses productions. C'est quand même dingue, alors que le jeu vidéo est encore un média à son adolescence, qu'il se révèle plus abouti que le cinéma dans ce qu'il propose aux masses !

Car je le maintiens : le public est non seulement capable d'apprécier, mais il est même demandeur de ce genre de fictions. Pourquoi on ne le lui propose pas ? Parce que le produit culturel, notamment cinématographique, devient un produit de consommation dont on veut qu'il touche le plus large public possible, comme la télé. Du coup, on ne cherche pas à faire un truc qui sera merveilleux aux yeux des gens. On veut un truc qui touche moyennement (mais qui touche) le plus large public possible. C'est un peu le syndrome Bienvenue chez les Ch'tis : tout le monde l'a vu, mais je ne pense pas qu'il se classe pour autant en tête des comédies préférées des gens. C'est plutôt une sorte de plus petit dénominateur commun. Et là, c'est dommage que l'offre se réduise ainsi.
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Message  Nicomurgia Mar 9 Déc 2014 - 1:37

Ben oui c'est dangereux, c'est certain, mais à te lire, parfois c'est à croire qu'il ne faudrait plus faire de fictions historiques ou même de fictions tout court (parce que oui, dans toute fiction il y a forcément réorchestration de la réalité, du sensible, en faisant plus ou moins ressortir le lien de la cause à l'effet. C'est obligé, on ne peut pas raconter quelque chose sans ça) parce qu'il y a des cons qui seraient capables de confondre histoire et fiction. Alors moi je suis d'accord mais au bout d'un moment, c'est bon, quoi... rire
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Message  Antoine Mar 9 Déc 2014 - 12:42

Ah non, je n'ai jamais dit ça ! Je dis juste qu'il faudrait que les grosses productions arrêtent de prendre leur public cible pour plus con qu'il n'est. Parce qu'à force, ça finit par le rendre con... et que volontairement ou non, ça nivelle vers le bas. Je reste persuadé qu'il est possible de faire de la fiction intelligente, pas simpliste, et dans laquelle le grand public se retrouve. C'est pas pour rien que je citais Assassin's Creed : pour le coup, le III est une fiction historique, qui reprend des événements de la guerre d'indépendance américaine, qui y ajoute bien des éléments de fiction, mais qui réussit à dire au public "non, l'histoire c'est pas un truc simpliste avec gentils et méchants". Et on a là un des grands succès d'une des licences les plus vendues de l'histoire du jeu vidéo. Sur Solitude(s), DanyCaligula avait écrit un très bon article pour analyser ce jeu.

Et encore une fois, de même pour GTA : le V est un jeu parmi les plus vendu, et tout à l'intérieur est intelligemment pensé pour remettre en question la société moderne, ses codes et ainsi de suite, de l'iPhone à Facebook en passant par le culte des célébrités, le capitalisme à outrance, le racisme et les barbouzeries pratiquées par les Etats-Unis. Cet article remet bien les choses dans le contexte, celui là également. Déjà, le 4, sorti en 2008, avait une tonalité politique très poussée, au point qu'un bouquin sur le sujet a été écrit.

Et ces exemples que je cite sont loin d'être de petites productions indépendantes et confidentielles. C'est même tout l'inverse : c'est parmi les plus gros cartons du moment ! Donc non, je ne pense pas qu'il soit irréaliste de demander à l'industrie du film de moins nous prendre pour des cons. Et ce n'est en aucun cas leur demander de ne pas faire de fictions historiques.

D'ailleurs, je le répète ici depuis assez longtemps : ce que je reproche à Cameron (outre sa trame principal simpliste qui ne m'emballait déjà pas quand j'avais huit ans), ce n'est pas de triturer les faits pour les adapter à sa fiction : c'est le principe d'une fiction. Non, c'est de dire "j'ai réalisé un film ultra fidèle à la réalité, et je méprise quiconque dira le contraire". Bref, c'est de présenter son film comme autre chose qu'une fiction. À partir du moment où il se présente ainsi... Il est jugé ainsi. Mais je suis loin d'être opposé aux fictions à tonalité historique, au contraire. Un Inglourious Basterds qui prend une période historique, la déforme totalement et s'éclate avec est un film qui me plait énormément. Mais Tarantino ne dit à aucun moment "ce que je fais est réaliste". C'est là la grande différence à mes yeux.

Bref, en résumé, je ne dis pas que les auteurs doivent se priver de faire quelque chose parce que le public est con ; je dis même tout à fait le contraire : je dis qu'ils doivent arrêter de prendre le spectateur pour plus con qu'il n'est, et qu'au lieu de servir la même soupe à la chaîne, ils devraient essayer de faire preuve de plus d'audace. Et je donne même des preuves qu'en réalité, le public est pas mécontent quand on lui sert de la qualité.
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